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379.

Pauline VIARDOT

. L.A.S., Courtavenel 1

er

-5 août [1852], à George Sand ; 12 pages in-8 (cachet sec

Collection

Lecesne-Viardot

).

1 000/1 500

Très longue et importante lettre racontant sa rupture avec Charles Gounod.

« Hé ma Ninounne, comment faire, où aller, pour ne faire que de l’

art

? dans quel pays le comprend-on, l’aime-t-on

exclusivement ? je ne sais pas si, tout bien pensé, bien équilibré, ce n’est pas encore dans cette perfide

Albion

où l’on ait le plus

d’occasions d’entendre la meilleure musique ! C’est triste à penser, mais je crois que c’est la vérité. Voyez en France, ou plutôt

à Paris, que peut-on y faire pour le moment ? Chanter

le Prophète

et puis encore et toujours

le Prophète

entrelardé d’un peu

de

Huguenots

. Il n’est question d’aucun ouvrage nouveau d’auteur de talent sérieux – il n’y a donc plus rien qui m’attire à

l’Opéra ». Le Théâtre Italien est « tellement déchu, vieilli aux yeux du public », qu’il risque de disparaître : « où sont les grands

chanteurs, les lapins indispensables pour ce civet ? tout au plus trouverait-on encore quelques vieux chats », pour toujours jouer

« le

Barbier

,

Norma

, la

Sonnambula

, les mêmes opéras qu’on ressasse depuis vingt ans »…Quant à l’Italie, à part le climat, elle

repousse depuis sept ans les propositions : « il faut chanter

au moins

quatre fois par semaine, et quoi ?

I Lombardi

et

Ernani

de

M

r

Verdi la

mort aux voix

, plus un opéra nouveau d’un maestrino quelconque, et pas un seul rôle du répertoire italien ancien,

parce qu’il n’y a plus un seul chanteur dans toute l’Italie qui puisse chanter du Rossini, ou même du Bellini ! » En Allemagne,

« je retombe en plein dans

le Prophète

et

les Huguenots

, augmentés du

Postillon de Longjumeau

, et le

Kaïd

, saupoudrés des

opéras en deux soirées

de M

r

Wagner, ou de la

philosophie

musicale de Robert Schumann ! Nulle part une création à faire,

nulle part le vrai beau, nulle part de l’Art ! – j’en pleure de honte. Vous êtes bien heureuse, vous, ninoune chérie, vous faites le

beau chaque fois que vous prenez votre plume à la main. Vous n’avez besoin de personne autre que vous, il ne vous faut aucun

auxiliaire. Il en est ainsi de tous les arts immédiats. Pour vous, du papier, une plume et de l’encre, voilà tout ce qu’il vous faut.

Mais nous autres, voyez donc ce que nous sommes, à quoi nous sommes réduits, quand les grands compositeurs se taisent ! il

nous faut de la belle musique, un bon théâtre, un public intelligent pour faire de

l’art

, et encore ! Nous n’arrivons jamais à faire,

à être ce que nous voudrions, ce que nous rêvons ». En Angleterre, le public a « du respect pour la grande musique ancienne » ;

il se déplace pour assister à un Festival, et « ne paraît pas éprouver la moindre fatigue après avoir eu cinq heures de belle et

grande musique le matin, retourne chez lui dîner et se remet à sa place pour le concert du soir, où on lui donne 4 autres heures

de musique – et cela va comme ça pendant les quatre jours du Festival. […] Là, au moins, j’aurai le plaisir de chanter quelques

beaux morceaux, plus quelques airs brillants – la scène des enfers avec chœurs, d’

Orphée

de Gluck, le Psaume de Marcello, des

airs de Handel, du

Messie

, de

Susanne

etc. feront partie de mon répertoire classique. – Je me croirai pendant ces 4 jours au

conservatoire du temps du père Habeneck. C’est quelque chose ! »…

Le lendemain, elle commence le récit détaillé de la «

dolorosa storia

» de la rupture avec Gounod. Il y a six semaines,

Gounod leur a annoncé son mariage avec Mlle Zimmermann : « je lui ai fait de bon cœur compliment de son choix. Anna, que

je connais depuis son enfance, m’a toujours semblé une bonne fille, et puis sa famille m’avait toujours témoigné une affection

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…/…