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134. MALLARMÉ (Stéphane). Lettre autographe signée à Armand Renaud, datée

Tournon, 8 janvier 1864

,

6 pages in-8 (203 x 133 mm), dont 4 sur un bifeuillet, papier de petit deuil avec son nom gravé sur la première

page, sous chemise demi-maroquin noir moderne.

3 000 / 4 000 €

R

ARE LETTRE DE JEuNESSE

,

CHARMANTE ET AMICALE AuTANT quE LITTÉRAIRE

.

Ami de la première heure, Armand Renaud (1836-1895), poète disciple d’Émile Deschamps, était par ailleurs fonctionnaire

à l’Hôtel de Ville et, à ce titre, aida Mallarmé dans certaines démarches officielles, notamment pour sa nomination en Avignon

ou pour obtenir un congé provisoire avec indemnité annuelle en janvier 1870. Cette lettre concerne un article perdu que

Mallarmé venait d’écrire sur un recueil de Renaud,

Les Caprices de Boudoir

(Sartorius, 1864), dont Sainte-Beuve écrivait

qu’il contenait « les ardentes peintures d’une imagination aigüe et raffinée ».

Mallarmé vient de terminer son article sur le livre de son ami :

Pourra-t-il paraître à la fin du mois dans l’Artiste ? Je le désire

de tout mon cœur

(en fait, il n’y parut pas et l’on ignore s’il fut jamais publié). Il s’excuse de son retard, mais a été fort découragé :

Puis est venu du soleil et j’ai grimpé huit jours sur nos coteaux où les rayons endormis ont de charmantes nuances vineuses. J’ai

fait des vers, après cela. Puis, que sais-je ? L’ennui m’a coiffé de son chaperon de plomb. J’ai eu horreur de ma plume. Soulever

les lourdes ténèbres de la vie journalière était trop de courage pour moi. J’ai dû attendre le premier instant lucide

.

Il se livre ensuite à d’intéressantes et ironiques réflexions sur la critique littéraire :

Il y a deux façons de faire un article de cette

sorte. Quand on n’est pas fort épris du livre ou qu’on parle d’un poète inférieur, le plus simple est de s’écrier qu’il n’a jamais

été rien fait de tel au monde, de citer le plus de vers possible, et de ponctuer chaque demi-phrase exclamativement

. C’est tout le

contraire qu’il a fait :

Je ne me suis pas donné la peine de dire que j’avais à faire à l’excellent poète que vous êtes

[…]

.

Dédaignant toute cette banale mise en scène, j’ai simplement écrit les réflexions qu’avait fait naître en moi votre livre

[…]

Je

crois que le but d’un bon article est de constater et je laisse à la réclame les fanfares qui suivent la joie de cette constatation.

Il précise :

je n’ai jamais, malgré l’érotisme de plusieurs de vos vers, douté un moment de votre spiritualisme, et vous verrez

[…]

ce qui m’avait conduit à subodorer votre réel tempérament poétique

. Il l’autorise cependant à effacer ce mot s’il lui déplaît.

Il évoque leur ami commun Cazalis :

son âme est un clair de lune d’une adorable limpidité

[...]

Vous connaissez aussi cette fée

diaphane et toute faite de poésie, Nina Gaillard

[Nina de Villars, amie de Verlaine et de Cros, entre autres].

J’en suis heureux

.

Suit un amusant passage sur le chemin de fer Lyon-Marseille :

quatre poètes sur la Ligne ! A Lyon, Soulary. A Tournon, ce pauvre

moi, et Glatigny

[qui doit bientôt venir chez lui, à Tournon].

Enfin, l’infortuné Emmanuel

[des Essarts],

qu’on exile à deux pas

d’ici, à Avignon. Venez donc

. En post-scriptum, il parle de sa femme et d’Émile Deschamps, dont il a vu annoncer une réédition

de sa traduction de

Roméo et Juliette

. que Renaud lui prête ce livre :

Je suis trop pauvre pour l’acheter

. Il lui recommande aussi

de cacher à Armand Renaud la venue de Glatigny :

Qu’on ne sache pas rue Neuve que Glatigny viendra bientôt chez moi

. Enfin,

il lui annonce l’envoi de vers de lui :

J’ai le travail fastidieusement difficile

.

Correspondance

, éd. B. Marchal, Folio-Gallimard, 1995, p. 165-168 (qui précise, p. 662, ne pas connaître la localisation du

manuscrit).

135. MALLARMÉ (Stéphane). D

ERNIèREMENT

,

JE VIS PAR MA FENêTRE

Lettre autographe signée

Stéphane

, adressée

à Armand Renaud, [Tournon, 27 juin 1864], 1 page in-8 (213 x 134 mm), sur papier pelure (bords légèrement

effrangés, sans perte de texte), sous chemise demi-maroquin noir moderne.

4 000 / 5 000 €

M

ALLARMÉ PAR LuI

-

MêME

:

LE POèTE COMMENTE

l’un de ses plus saisissants poèmes en prose,

Pauvre enfant pâle

[La Tête]

.

Il explique la genèse de son texte à son ami Armand Renaud (1836-1894), jeune poète et employé à l’Hôtel de Ville, à qui

il envoyait souvent copie de ses poèmes. Les circonstances qui l’inspirèrent, l’argument, toute la violence du choc, sous

l’émotion duquel Mallarmé composa le si poignant

Pauvre enfant pâle

(recueilli dans

Divagations

), sont admirablement

exprimés ici :

Dernièrement, je vis par ma fenêtre un méchant enfant pauvre qui chantait seul par les rues une chanson insolente : la

voix, très haute, le forçait à lever la tête d’une façon singulière et qui me frappa longtemps. Un moment l’affreuse idée me

vint que cette tête, qui semblait vouloir s’en aller, serait peut-être un jour en effet détaché

[e]

de reste de ce corps par le

couteau de la justice, et dans la soirée j’écrivis le poème en prose que je vous envoie

.

Signalons que ce manuscrit présente un post-scriptum qui semble inédit :

Envoyez-moi donc des vers, de la prose, n’importe

quoi de vous

. Ce texte sera repris dans l’édition de la correspondance de Mallarmé actuellement en préparation par Bertrand

Marchal.

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