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“Les livres sincères ont parfois des amertumes qui sauvent”

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FLAUBERT (Gustave).

Projet de préface au Mémoire en défense de Mme Bovary.

Sans lieu ni date

[10-15

janvier 1857].

Manuscrit autographe signé “Gustave Flaubert” ; 1 page ½ in-folio.

L’honneur d’un écrivain : exceptionnel manuscrit autographe signé du projet de préface au

M

émoire

en défense de

M

me

B

ovary

.

Je suis accusé d’outrage « envers la morale publique et religieuse & les bonnes mœurs »

Ma justification est dans mon livre. Le voilà. Que mes Quand mes juges le lisent & l’auront lu ils seront convaincus

que loin d’avoir fait un roman obscène et irreligieux, j’ai au contraire composé quelque chose d’un effet moral.

La moralité d’une œuvre d’art littéraire consiste-t-elle dans l’absence de certains détails qui pris isolément

peuvent être incriminés ? ne faut-il pas avant tout plutôt considérer l’impression qui en résulte, la leçon indirecte

qui en ressort ? – & si l’artiste dans l’insuffisance de son talent, n’a pu produire cet effet, qu’ à l’aide d’une

certaine brutalité toute superficielle, les passages qui au premier coup d’œil, paraissent semblent répréhensibles ne

sont-ils pas, par cela même, les plus utiles & les plus indispensables ? (Qui a jamais accusé Juvenal d’immoralité?)

Bien qu’il soit outrecuidant d’évoquer les grands hommes à propos des petites œuvres, que l’on se rappelle avant

de me juger, Rabelais, Montaigne, Régnier, tout Molière, l’abbé Prévost, Lesage, Beaumarchais & Balzac.

Les livres sincères peuvent avoir ont parfois des amertumes qui sauvent. Je ne redoute, pour ma part, que les

littératures doucereuses que l’on avale

absorbe sans répugnance et qui empoisonnent sans scandale.

J’avais cru jusqu’ici alors que les romanciers comme les voyageurs avait la liberté des descriptions. J’aurais pu,

après bien d’autres, choisir mon sujet dans les classes exceptionnelles ou ignobles de la société. Je l’ai pris, au

contraire, dans la plus nombreuse et la plus plate. Que la reproduction en soit désagréable, je l’accorde. Qu’elle

soit criminelle, je le nie.

Je n’écris pas point pas d’ailleurs pour les jeunes filles, mais pour des hommes, pour des lettrés. Les gens auxquels

les livres peuvent nuire qui cherchent le libertinage dans les livres ne liront jamais trois pages du mien. Le ton

sérieux les en écartera.

[Addition en marge :

Les gens qui s’amusent au libertinage des livres s’écarteront vite du

mien.

]

On ne va point par lubricité, aux amphithéâtres.

Et maintenant, j’accepte d’avance la décision de mes juges. Devant l’énormité des accusations, j’ai toutes les

naïvetés de l’ignorance, & ne comprenant guères ma faute, peut-être me consolerai-je de ma punition punition ?

Gustave Flaubert.

Un manifeste en faveur de la liberté de l’écrivain.

Le 10 janvier 1857, Gustave Flaubert fait part à son éditeur de son intention de constituer un

Mémoire

à partir

de quelques exemplaires spéciaux de

Madame Bovary

. Le texte du roman serait imprimé sur une seule colonne

avec de grandes marges afin, explique-t-il, de “

mettre en regard de plusieurs passages, de ceux qui sont incriminés

d’abord, des citations tirées des classiques.