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Enfer et purgatoire :
« Je viens de faire une sorte de récapitulation de mes déceptions. Il n’y a pas
en moi d’enfer. Je ne hais, je ne condamne personne. Mais il y a en moi un purgatoire, un endroit
où, sans rancune, je relègue ceux qui m’ont méconnu
(...)
et avec une ingratitude noire, ceux à
qui j’ai écrit et qui par suffisance ou pour des rancunes mesquines ont dédaigné de me répondre. »
(26.12.74)
Georges Mathieu et Vladimir Jankélévitch :
« J’ai donc déjeuné
(...)
avec le peintre Mathieu,
un grotesque et un fol qui porte un chignon. Je ne sais comment cela se faisait, son espèce de queue
de cheval postérieure à sa tête me paraissait lui sortir de la bouche et tout ce qu’il disait ne s’en
dépêtrait par quelle suffisance. Ce Monsieur a tout. Il ne m’a pas eu. Il ne m’a pas. Jankélévitch
était là aussi. Quelle discrétion ! Avec une longue mèche qui encadre son visage comme une auréole
d’or. »
(8.5.71)
Une maxime :
« L’inaccessible nous préserve de toute déception. Rêve ce que tu n’as pas le droit
de de voir ni de toucher. A la fin, le prestige qui entame l’objet de notre adoration nous est plus
précieux qu’une possession qui n’est souvent que leurre. »
(21.7.71)
Souvenir d’Elise :
« Il [son petit-fils Marc] dort dans la chambre et le lit d’Elise. Ainsi la vie
a raison de la mort, bien que cette femme, la mienne, qui m’a tant fait souffrir, sans m’ennuyer
jamais, me soit plus présente et intime que jamais. »
(7.12.71)
Lecture de Saint-Simon :
« J’ai ouvert le dernier tome de Saint-Simon et je n’en puis plu quitter
la lecture. Tout y est curieux et attachant. Depuis le plat de cochon de lait nourri de vipères dont
il s’est régalé en Espagne jusqu’au portrait qu’il trace de la 2
e
fille du Régent qu’il avait conduite
là-bas pour qu’elle épousât le Prince des Asturies, héritier du trône. Il la montre hargneuse, refusant
d’assister au bal splendide qui se donnait en son honneur, mais le pire, c’est quand il vient prendre
congé d’elle et qu’il n’obtient d’elle que trois rots publics et retentissants. J’ai pris un peu pour mienne
cette réflexion de lui : “Je me suis peut-être un peu trop étendu sur cet article ; les singularités on fait
couler ma plume.” »
(10.12.71)
Testament :
« Je t’écris sur une feuille où j’allais rédiger mon testament. C’est fait. Je demande à
être enseveli à Guéret. Il m’en coûte, mais ce n’est pas à moi à suivre Elise. Elle devait me suivre où
j’avais choisi d’aller. J’ai assez dépendu d’elle durant 42 ans pour aujourd’ hui et demain agir dans
l’indépendance. Demain, c’est l’éternité. Cependant, si je n’avais pas lu les pages affreuses qu’elle
a écrites durant les derniers jours de sa vie qui ne respectaient pas ma mère et dénotaient chez elle
un coin de sordide, je n’aurais pas eu le courage de prendre cette décision, de consentir à ce divorce
posthume
(...)
»
(2.7.71)
Histoire d’O. et Jean Paulhan :
« Grande dispute encore autour d’ histoire d’O. Pauline Réage
serait l’anagramme de l’Egérie de Paulhan (h seul manque). Essaie de dégager l’anagramme. Rien
n’est amusant comme ce va et vient de l’opinion. Moi-même je ne sais où donner de la tête. Je me
remets à croire que l’ouvrage est bien de Dominique Aury. Je crois d’ailleurs qu’il était fait comme
exprès pour torturer O. Chaque fois qu’elle se permettait la moindre familiarité publiquement
avec lui, je l’ai vu de mes yeux la rabrouer cruellement. En Jean, il y avait un homosexuel rentré.
Je le revois encore devant ma porte en 1927 : c’était Montesquiou en personne : une badine
à la main, une fleur au chapeau, se dandinant, je veux dire sur deux fesses dansantes. Il m’a
compromis le jour même aux yeux de ma concierge et dans mon restaurant
(...)
Jean était
un mystificateur, le mystificateur en personne avec une espèce de génie. »
(12.11.75)
Saint-John Perse :
« Quant à Alexis Léger Léger, je n’ai pas plus brûlé pour lui que lui pour moi.
J’ai possédé dans ma jeunesse un exemplaire somptueux d’Anabase. J’ai fréquenté plusieurs de ses
maîtresses ; la meilleure : Yvonne Gallimard et la pire : Simone Mary.
(...)
C’est elle qui a causé
le malheur des derniers jours de Madame Gide et sans doute sa mort, en lui apprenant ce qu’elle eût
dû ignorer toujours, que Gide avait eu une fille de Melle van Rysselberghe, Catherine. »
(29.9.75)
Superexcitation :
« J’ai été malade au point que j’ai cru ma dernière heure venue. Quelqu’un
m’avait remis une collection de garçons nus en images grandeur nature. C’était trop pour moi.
La superexcitation causée par ces vis-à-vis faillit rompre mon équilibre physiologique. »
(8.4.75)