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C
OMME
JE SUIS AFFOLÉ DE TRAVAIL POUR MON ROMAN ET QUE DANS LA FATIGUE DE MA MAIN
JE REGARDE À UNE
LIGNE D
'
ÉCRITURE
, je t'avoue préférer ne pas entreprendre cette correspondance entièrement inutile pour
deux raisons. La première, c'est qu'elle n'aboutira pas. La seconde, c'est que n'importe quel ébéniste –
et tu dois être en rapport avec beaucoup – te dira tout aussi bien ce que tu veux ! Comme je ne pouvais
me lever, j'ai aperçu seulement le bureau dans mon antichambre et me suis recouché aussitôt. Comme
il m'a paru bien et que d'autre part une personne de grand goût l'avait approuvé, je n'ai pas voulu
retarder jusqu'à ce que je puisse me lever et le voir et te l'ai fait porter aussitôt. J'ajoute cependant que
s'il a été réparé, je n'y vois pas d'inconvénient, mais que s'il n'était pas ancien, comme tout en m'ayant
coûté un prix dérisoire auprès de ce que je voudrais dépenser pour toi, il est en revanche absurdement
cher si c'est un meuble moderne ; si des gens autorisés te le disaient moderne, je préférerais le savoir ;
car dans ce cas,
QUAND
J
'
AURAI
FINI
MON
BOUQUIN
,
JE
TÂCHERAI
DE
FAIRE
FAIRE
CE
QU
'
ON
APPELLE
,
JE
CROIS
,
DU
RAFFUT
AUPRÈS DU
VENDEUR
,
à défaut du recours que je n'ai malheureusement pas contre lui.
Tendres amitiés...
»
L
A
LITTÉRATURE
:
«
CE QUE
JE
CONSIDÈRE
COMME
LE
PRIX
,
LE
CHARME
,
LE
SENS DE
LA
VIE
...
»
«
... Je ne t'avais pas écrit dans
l'intention de "m'inviter"
[au
château de Bizy, propriété de Louis
Suchet d'Albuféra, près de Vernon,
dans l'Eure]
mais de venir dans ton
voisinage pour te faire des visites. Les
Clermont-Tonnerre ont été tellement
gentils, me promettant chez eux tant
de silence, d'isolement et de liberté que
j'ai été sur le point et hésite encore à
accepter
[la famille de Clermont-
Tonnerre possédait le château de
Glisolles dans l'Eure]
.
Mais malgré une gentillesse extrême,
j'aimerais mieux trouver près de chez
eux (comme j'aurais voulu le faire à
côté de Vernon) un logis silencieux
pour q
[uel]
q
[ues]
jours. Si je vais
soit chez eux, soit à côté de chez eux,
j'irai passer une heure chez toi en
automobile.
Q
UESTION
F
IGARO
,
ne le lis pas pour trouver un article de moi, car je n'en ai pas envoyé de nouveau,
après celui du
3 septembre [intitulé « L'Église de village »]
et n'en enverrai peut-être plus, car
C
'
EST
UN
JOURNAL DONT
LES
LECTEURS
(
OU
PLUTÔT
LES
ABONNÉS
)
SONT
TROP
SUR
TON MODÈLE
ET NE
L
'
OUVRENT
MÊME
PAS
,
ou lisent seulement les nouvelles mondaines. Mais je trouve que toi tu devrais au contraire
lire le 1
er
article, non parce qu'il est parfois de moi car c'est très rare et ne sera peut-être plus.
M
AIS
TU
SAIS
CE
QUE
JE
PENSE
DE
TOI
EN
BIEN
COMME
EN
MAL
(
JE
PARLE
ICI
AU
P
[
OIN
]
T
DE
VUE
INTELLECTUEL
SEULEMENT
)
ET
JE
DÉPLORE
QUE
TU
VIVES
VOLONTAIREMENT
ÉTRANGER
À
CE
QUE
JE
CONSIDÈRE
COMME
LE
PRIX
,
LE
CHARME
,
LE
SENS DE
LA
VIE
.
53
PROUST
(Marcel). Lettre autographe signée
«
Marcel Proust
». S.l., [date de réception du
19 septembre 1912].
3.000/4.000
4 pp. in-8 ; date de réception au composteur, apostille autographe
du destinataire, « répondu le
21 sep
[embre]
1912,
que désirerons
tous que vien
[ne]
, que lisais toujours 1
er
art
[icle]
Figaro »
; 2 trous de
classeur en marge avec perte de quelques lettres.