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66

«

C

OMMENT

,

AYANT

EU

LE

BONHEUR DE

VIVRE DANS

LA

SOCIÉTÉ D

'

UNE

FEMME

PAREILLE

...

N

'

AI

-

JE

PAS

ÉTÉ MOI

-

MÊME MEILLEUR QUE

JE NE

SUIS

....

»

R

ÉCIT

DRÔLE

ET

CRUEL

D

'

UN

DÎNER

DONNÉ

CHEZ

SES

PARENTS À

R

OBERT DE

M

ONTESQUIOU

:

Proust illustre ainsi

la sincérité comme trait de caractère

dominant chez sa mère, disparue

quelque trois ans auparavant.

«

Mon cher Louis, merci de tout cœur

de ta charmante lettre, j'aurais fort à

te dire si je n'étais brisé de fatigue et

n'ai voulu que te remercier. J'ai tout

juste la force de te répéter : "donne-

moi dès que tu pourras les mesures du

bureau", et de t'assurer de ma profonde

affection... Hélas, j'ignore d'où venait

le s[ain]t Louis, c'est maman qui l'avait

trouvé, si je ne confonds pas. Du reste,

cela n'avait

aucune espèce de valeur

,

ce n'était qu'habilement truqué et

amusant pour q

[uel]

q

[u]

'un qui aime

cette époque. Si je peux sortir, je tâcherai

de trouver sculpture ou vieux portrait

en s

t

Louis plus intéressant. Tu sais que

c'estmon grand saint parce puisqu'il est

le patron de mon cher ami. L'abat-jour

dont tu me parles était aussi bien peu de

chose. Mais je l'aimais parce que c'est

MAMAN

qui s'en était occupé. Et puis

il me rappelle par contraste

UN

TRAIT

DE

SA

FRANCHISE

QUI

ÉTAIT

ADMIRABLE

.

Nous avions à la maison un abat-jour représentant le roi de Rome.

U

N

JOUR

DÉJÀ

FORT

ANCIEN

J

'

INVITE À DÎNER

R

OBERT DE

M

ONTESQUIOU

qui n'était encore jamais venu et il dit à maman qu'il est bien

touché de voir qu'elle a mis pour lui un abat-jour avec le portrait du roi de Rome, allusion délicate à ce

que sa grand'mère était gouvernante du roi de Rome

[en fait son arrière-grand-mère]

.

E

T MAMAN

LUI

RÉPOND

: "M

AIS

, M

ONSIEUR

,

CE

N

'

EST

PAS

DU

TOUT

POUR

VOUS

QUE

J

'

AI

CET

ABAT

-

JOUR

que j'avais bien

avant que Marcel m'ait parlé de vous, et de plus j'ignorais entièrement que votre g

[ran]

d-mère aurait

été sa gouvernante". Ce qui faisait que pendant bien longtemps,

M

ONTESQUIOU ME DISAIT

: "V

OTRE PÈRE

EST

CHARMANT MAIS

COMME

VOTRE MÈRE

EST

PEU AIMABLE

!"

E

T

C

'

EST

VRAI QU

'

ELLE

ÉTAIT

TROP

VRAIE

POUR

ÊTRE

CE QU

'

ON APPELLE AIMABLE

. M

AIS QUAND

ELLE AIMAIT

QUELQU

'

UN

,

PAR

LA MÊME

SINCÉRITÉ

,

ELLE

ÉTAIT MIEUX QU

'

AIMABLE

.

C

OMMENT

,

AYANT

EU

LE

BONHEUR

DE

VIVRE

DANS

LA

SOCIÉTÉ

D

'

UNE

FEMME

PAREILLE

QUI

ÉTAIT

CE

QU

'

ON

PEUT RÊVER DE MEILLEUR

,

DE

PLUS

INTELLIGENT

,

DE

PLUS DÉVOUÉ

,

N

'

AI

-

JE

PAS

ÉTÉ MOI

-

MÊME MEILLEUR QUE

JE NE

SUIS

.

Que j'ai peu profité d'elle. Elle avait une grande sympathie pour toi, mon cher Louis...

»

49

PROUST

(Marcel). Lettre autographe

signée «

ton Marcel

» en deux endroits. S.l.,

[date de réception du 29 janvier 1909].

4.000/5.000

4 pp. in-8, liseré de deuil ; date de réception au composteur,

apostille autographe du destinataire datant la réponse, «

le

9 fév

[rier]

09

»..