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«
Je trouve stupide de faire le médecin amateur...
Moi, mon rôle ne doit être que celui de l'amitié incompétente...
»
2. –
[Paris], [vers avril 1907] :
«
M
ON
CHER
L
OUIS
,
JE
TROUVE
STUPIDE DE
FAIRE
LE MÉDECIN
AMATEUR
,
mais puisque tu as l'air de croire que c'est par paresse que je ne t'écris pas, voici les renseignements
demandés.
P
RATIQUEMENT
LES
RISQUES
DES
PERSONNES QUI
ENTOURENT
UN MALADE
ATTEINT
DE
LA
FIÈVRE
TYPHOÏDE
SONT
TRÈS
FAIBLES
,
beaucoup moindres que ceux des personnes qui boivent un verre d'eau de
Seine. De plus, comme l'élimination des bacilles par le malade continue pendant un temps excessivement
long après qu'il est guéri, les précautions seraient par trop difficiles à prendre. Néanmoins, le fait que
les bacilles sont seulement dans les matières et l'urine est un mot. Car ta chemise se salit sans que tu
puisses même le soupçonner, car ton lit contient des bacilles, car quand tu mets ton thermomètre dans
ton derrière, il en recueille quelques-uns qu'il dépose sur ta main que tu passes ensuite sur les cheveux
de ta femme qui les peigne, etc. Pendant ce temps-là ton thermomètre en dépose d'autres sur ta table
de nuit. J'exagère beaucoup sans doute ce petit voyage circulaire qui d'ailleurs n'est pas considéré de
même par tous les médecins. Si tout le monde était comme moi, cela n'aurait pas d'importance, car j'y
fais si peu attention que
JE
NE ME
SUIS
PAS
,
EN
TE
QUITTANT
,
LAVÉ
LES MAINS
PENDANT
2
JOURS
(
EXCUSE
CETTE
SALETÉ
)
DANS
L
'
ESPOIR
QUE MES
ALIMENTS MANIÉS
PAR MOI ME
DONNERAIENT
UN
PEU
DE
TON MAL
.
Mais rien ne te dit que le jeune Louis
[fils de Louis d'Albufera]
soit dans les mêmes dispositions, et
dans le doute il est préférable, n'eût-il qu'une chance sur 1000 de prendre ton mal (et je crois qu'elles
sont infiniment plus grandes, sauf la question que j'ignore de savoir si les enfants aussi jeunes sont un
terrain de culture favorable pour le bacille d'Eberth). D'ailleurs ce n'est pas à cela que je pensais quand
je téléphonais mais à plus tard, je t'expliquerai ce que je veux dire et ce n'est pas la peine de disserter
là-dessus trois semaines d'avance. Mon cher Louis, tu as un médecin et moi
JE
N
'
ENTENDS
RIEN
À
LA
MÉDECINE
.
Laisse-toi soigner par lui.
M
OI
,
MON RÔLE NE DOIT ÊTRE QUE CELUI DE L
'
AMITIÉ
INCOMPÉTENTE
:
aller te voir dès que je le pourrai matériellement, si je ne te fatigue pas, te faire les commissions qui
peuvent t'être utiles, mais
NE PAS ÊTRE
,
À CÔTÉ ET AU
-
DESSOUS DE TON MÉDECIN
,
UN CONSULTANT OFFICIEUX
ET
IGNARE
qui ne connaît pas le premier mot de tout cela. À toi de tout mon cœur et avec ma profonde
tendresse... Pour ne pas t'encombrer du formulaire de Gilbert, je coupe la page que tu me demandes et
je l'inclus ici. Je sais qu'il y a une autre page sur la désinfection des habits, etc., de quelqu'un qui a la
fièvre typhoïde mais mon livre est déchiré.
»
3. –
Télégramme. Paris, 14 avril 1907 : «
Tu me ferais plaisir si tu pouvais sans causer trop de
dérangements me faire télégraphier si ton nouveau traitement sembler donner quelque résultat,
désespéré que tu souffres encore, & te supplie prendre patience... Tendresses. M. Proust.
»
4. –
Télégramme. Paris, 21 avril 1907 : «
Rémission fièvre & retour à la température normale espérés
pour aujourd'hui se sont-ils produits. Affections. Marcel Proust.
» (déchirure sans manque).
5. –
Télégramme. Paris, 22 avril 1907 : «
T'ai répondu immédiatement par lettre partie ce matin,
craignant dans une dépêche confusion de nom et d'adresses de médecins. Bien chagrin savoir que
fièvre n'est pas terminée. Encore affections. Marcel Proust.
» Marcel Proust a adressé ces trois
télégrammes à Nice où Louis Suchet d'Albufera passait sa convalescence.