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les collections aristophil
il travaillera encore au dénouement, à la demande de son éditeur,
alors qu’il commence à corriger les épreuves en février. Pour la sortie
du
Diable au corps
en mars 1923, Bernard Grasset va orchestrer un
lancement publicitaire sans précédent pour ce livre du « plus jeune
romancier de France », qui mourra à vingt ans.
Cette histoire d’amour entre un jeune garçon et la femme d’un soldat
parti à la guerre fit scandale dans la France d’après 14-18 ; Radiguet
s’est inspiré de sa propre liaison avec Alice Serrier, dont le mari
était au front.
Ces deux manuscrits correspondent à la mise au point du dénouement,
à partir du moment où Marthe découvre qu’elle est enceinte de
François, jusqu’à la fin du roman, avec le mot « FIN » (
Œuvres
complètes
, Omnibus, p. 578-591). Ils sont écrits à l’encre noire ou
brune sur un cahier d’écolier, puis sur des feuillets arrachés à un
cahier, au recto des feuillets de papier ligné à marge rouge, avec
de nombreuses ratures et corrections (plus de 200) et de nombreux
passages biffés. Proches du texte définitif, ils offrent cependant de
nombreuses variantes.
Le cahier, provenant d’un papetier de Toulon, a été probablement
acheté lors d’un des séjours au Lavandou en 1922. Il commence,
après le passage biffé cité ci-dessous : « Jamais [Marthe
biffé
] elle
ne s’obstina davantage. Elle essaya de tout, caresses, menaces »…
On relève quelques passages biffés et supprimés ; ainsi en haut de
la première page : « J’étais dans la circonstance moins brave que
lâche. Comme la tendresse, la veulerie empêche les amants de se
quitter » ; et en bas de la page suivante : « À force de me rendre
compte qu’on apprenait toujours mes démarches secrètes, je ne
doutai pas que tout le monde sût le lendemain que j’avais entraîné
Marthe à l’hôtel. » Etc.
De nombreuses petites corrections, comme des changements de
mots, sont de la main de Cocteau qui a relu attentivement le cahier ;
d’autres sont plus importantes. Ainsi lorsque la voiture du docteur
vient chercher Marthe, Radiguet avait écrit : « Nous y montâmes,
Marthe ayant fait promettre au docteur de n’avertir personne » ;
Cocteau corrige (c’est la version définitive) : « Il avait promis de n’avertir
personne, Marthe exigeant d’arriver chez sa mère à l’improviste ». Tout
à la fin, après la phrase : « Notre maison [retrouvait
biffé
] respirait le
calme », et avant le paragraphe : « Un jour à midi mes frères revinrent
de l’école en nous criant que Marthe était morte », Cocteau ajoute
(cette addition occupe toute la page en regard) quatre paragraphes
qui figurent dans le roman : « Les vrais pressentiments se forment à
des profondeurs que notre esprit ne visite pas », etc.
Les feuillets volants, paginés de 7 à 29 (sans les pp. 17 et 19),
commencent un peu plus loin : « couple de mendiants. Je croyais
la grossesse de Marthe [évidente
corrigé par Cocteau
] ridicule, et
je marchais les yeux baissés [de peur de voir tous les regards sur
nous
biffé
] ».
D’un graphisme très proche de celui du cahier, ces pages ont dû être
écrites peu après, mais certaines pages de mise au net sont d’une
écriture plus fine et soignée, et ont dû être insérées après révision.
Cocteau a encore porté ici des corrections. Et Bernard Grasset a
annoté ces pages ; ainsi au bas de la page 8, le début d’une première
version du paragraphe « Ma honte dramatisa le retour » est fortement
biffé à la suite de la note de Grasset au crayon « très mauvais », et tout
le paragraphe est refait par Cocteau sur la page 9 ; les pages 10 à 12
sont mises au net par Radiguet. D’autres annotations sont portées
en marge au crayon par Bernard Grasset : « idée excellente », « très
bon », « mauvais », et en marge des toutes dernières lignes : « très
beau et digne du début ».
Citons encore cette phrase supprimée par Radiguet : « Il me restait
simplement le malaise que j’ai toujours en public de n’être pas à
l’unisson, d’avoir l’air de prendre une attitude supérieure »
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