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Littérature

pas à titre d’interjection, de proverbe ou de

métaphore, mais dans leur sens le plus clair.

[…] Entrez, retenez mes paroles et ne vous

étonnez de rien.”

J’entrai. L’amiral m’attendait dans son cabinet

de travail, ses deux filles debout auprès de lui.

D’un coup d’œil je regardai mes deux futures

élèves. L’aînée était brune et d’une grande

beauté. Une profusion de cheveux très noirs

entourait son pur visage. Elle pouvait avoir

dix-huit ans. La seconde, qui ne ressemblait

pas du tout à sa sœur, était une fillette d’une

douzaine d’années, longue et maigre ; ses

cheveux châtains flottaient sur son dos.

Après un instant de silence :

“Foutre ! vous me plaisez”, me dit l’amiral en

me tendant la main.

Et il me présenta ses filles, sans doute afin de

leur inspirer le respect de leur professeur.

“Voici ma fille aînée, Clarisse, une belle

fille, foutre, et bien bâtie ; une bougresse,

monsieur, qui a le feu au derrière, mais c’est

pour la foi et la charité.

– Et pour l’espérance, dis-je en saluant.

– Hé ! hé ! fit l’amiral, il a bien répondu. Ce

bougre-là me plaît. Sa gueule me revient. Et

voici ma cadette, Martine, une putain d’enfant

qui me prend pour un vieux con ; mais elle

est bien ma fille, elle a du poil au cul.

– Moralement, papa, dit Martine.

– Car physiquement, souffla Clarisse, rien

ne manque plus à ma sœur que le poil au

cul, monsieur.

– Oh ! j’ai le temps, protesta Martine, et s’il

me vient seulement la moitié de la barbe

qui gonfle ton pantalon, j’en aurai bien assez

pour être une jolie femme »…

Les scènes érotiques vont se succéder entre

ces gamines délurées et le professeur, qui

se révèle moins averti que les toutes jeunes

filles, initiées naguère par leur mère et aussi

par la gouvernante, Mlle Esther, ancienne

pensionnaire de bordel, qui vient bien vite

participer elle aussi aux ébats ; leur langage

ne le cède en rien à l’audace des exercices.

Au milieu des diverses combinaisons,

variations et positions qu’on peut deviner, le

narrateur, parfois un peu dépassé, ajoute non

sans humour des commentaires, tel celui-ci

(p. 62-64) : « Je vis là combien la réalité de

nos aventures dépasse en complication tout

ce qu’imaginent les romanciers érotiques. Et

je méditai que dans soixante ans, si la science

future accordait aux hommes la faculté de

connaître toutes leurs origines, un amiral,

un ambassadeur ou un archevêque pourrait

conter ainsi l’histoire de sa naissance : “J’étais

un obscur spermatozoïde enroulé dans la

couille gauche d’un professeur de morale,

lequel sodomisa un jour une petite fille de

douze ans, qui n’avait ni poils ni tétons ni

hanches ni foutre ni menstrues. Projeté

dans l’intestin où mon établissement ne dura

qu’une minute, je coulai dans la main de

l’enfant, et de là, je passai dans sa bouche.

La plupart de mes frères tombèrent dans

l’estomac où ils trouvèrent une mort sans

gloire ; mais moi, resté au bout de la langue,

je fus transporté miraculeusement, par un

acte lesbien et même incestueux, au con

velu d’une jeune fille pubère qui conçut et

me donna le jour” ».

Le roman s’interrompt sur cette réflexion de

l’auteur : « Si ce livre ne devait être lu que par

des hommes, je ne prendrais pas la peine

de décrire ce qui suit. Il faudrait vraiment

qu’un jeune homme fût bien disgracié de la

nature pour n’avoir jamais enculé sa sœur, ou

l’amie de sa sœur, ou l’une de ses cousines

germaines, ou une jolie fille quelconque ; et

la plupart des jeunes gens ont rencontré au

bal, au parc, à la mer ou à l’hôtel une de ces

jeunes filles modestes qui se font enculer

par tout le monde en protestant, les yeux

baissés, qu’elles se respectent trop pour

sucer la queue. Mais on ne sait en quelles

mains tombent les romans. Celui-ci peut être

lu par une malheureuse jeune fille solitaire

qui n’ait jamais vu de ses yeux le cul d’une

fille sodomite. Laissons-nous donc attarder

à cette description trop connue. »

Le présent manuscrit ne fut pas vendu lors

de la vente à l’Hôtel Drouot des manuscrits

de Louÿs, le 14 mai 1926 : comme tous

les manuscrits érotiques, il fut cédé plus

discrètement.

Provenance

 : vente Drouot, 21 novembre

1936 (n° 111) ; ancienne collection Jean A.

BONNA (ex-libris). Catalogue

Pierre Louÿs

(Librairie Jean-Claude Vrain, 2009, n° 75).