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les collections aristophil

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LAMARTINE Alphonse de

(1790-1869).

L.A.S. « Alph. de Lamartine », Saint-

Point par Mâcon 8 juin [1823], à Victor

HUGO ; 4 pages in-4.

1 000 / 1 500 €

Belle et importante lettre sur la fondation

de la revue

La Muse française

.

« Non mon cher Victor je ne vous oubliois

point. Vous n’êtes pas de ce vulgaire des

esprits qui ne laissent pas plus de trace

que la foule dans nos rues. Vous êtes de

ceux dont on aime à se souvenir dans le

monde et dans la solitude ; la meilleure

partie de vous-même y est avec moi, et

ces jours-ci encore nous nous occuppions

de vous en famille, nous relisions vos

ravissantes poësies et votre terrible

Han

[

Han d’Islande

]. Soit dit en passant, je le

trouve aussi trop terrible, adoucissez votre

palette, l’imagination comme la lyre doit

caresser l’esprit, vous frappez trop fort :

je vous dis ce mot pour l’avenir, car vous

en avez un et je n’en ai plus. Je me retire

décidément de ce monde littéraire où j’ai à

peine fait un premier pas, je crois même que

je me retire de tous les mondes possibles

car je ne vois plus comment ni quand ni

pourquoi je quitterai l’azile obscur où je suis

maintenant »… Lamartine, éloigné de Paris,

n’étant plus au courant de ce qui s’écrit ou

se pense, ne peut donc accepter que son

nom figure parmi ceux du journal. « L’idée

m’en paroît

nécessaire

, le plan bien tracé,

les collaborateurs dignement choisis, je serai

un de vos premiers abonnés, mais je ne puis

décemment accepter une sinécure dans cette

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LAMARTINE Alphonse de

(1790-1869).

L.A.S. « Lamartine », Paris 11 mai 1857,

à Victor HUGO ; 3 pages in-4 (légères

fentes aux plis).

500 / 700 €

Belle lettre sur

Les Châtiments

et

Les

Contemplations

.

« Non ; jamais rien d’intentionnellement

blessant pour vous n’est sorti de mon cœur

et ne sortira de ma plume. Vous auriez pu

le voir aux termes dont je me suis servi

l’année dernière en parlant de vous dans ces

causeries [du

Cours familier de littérature

en

octobre 1856] écrites bien après la publication

de vos Iambes [

Les Châtiments

]. Vous le

verrez bientôt dans la sincère glorification

de votre génie lyrique auquel je ne compare

rien de moderne. Cela ne veut pas dire que

j’abdique ou rétracte rien de ma répugnance

générale et théorique à la satire en vers

infligée aux noms propres. Ceci est chez

moi système et sentiment ; mais ce ne sera

jamais à un ami malheureux que j’en ferai

l’aplication. Je regrette que vos amis s’y

soient trompés. On ne s’y trompe pas ici.

Je relisais en ce moment vos deux derniers

et presque partout sublimes volumes [

Les

Contemplations

]. La Poésie est fille de la mer

et de l’exil dans Homère dans le Dante dans

Byron et dans vous. Quant à moi je lutte ici

dans un travail ingrat et mercenaire pour

sortir honorablement de la vie. Cela vaut

bien dix exils mais cela ne vaut pas la mer.

Adieu. Ne doutez jamais de ma constante

amitié, aussi vieille et aussi fidèle que mon

admiration »...

ruche où chacun apportera son miel et où

je n’apporterois absolument rien »… Quand

Émile DESCHAMPS lui en parla cet hiver, il

croyait « pouvoir passer quelques mois de

l’année parmi vous écrire ou

verseggiare

dans ce journal, mais ma position s’est

empirée et le res augusta domi me presse

trop pour que je puisse de longtems sortir de

mes montagnes. […] Quant à vous mon cher

Hugo vous devez accepter tout ce qu’on vous

offre si naturellement dans cette entreprise où

votre nom est une assez forte avance. Mais

si cela vous répugne trop fort, voilà ce que je

vous propose et vous prie en ami d’accepter.

Entrez comme fondateur et moi qui ne peux

y mettre ni nom ni esprit, j’y mettrai bien

volontiers les mille francs convenus. Cela

restera entre nous deux, vous me les rendrez

quand ils seront couverts et au-delà par les

bénéfices de l’ouvrage. Vous concilierez ainsi

toute convenance, et vous resterez à portée

d’utiliser pour l’avenir les avantages peut-être

considérables qui résulteront de l’entreprise.

Songez que nous sommes des frères en

poësie, en doctrines, en Relligion et j’espère

en sentiments. Ce seroit d’un mauvais cœur

de refuser »… Il est désolé de la banqueroute

de son libraire [Ladvocat], « mais vous en

enrichirez d’autres. Vous avez vingt deux ans,

une bonne santé, une femme charmante,

une belle ame et un génie, il y a de quoi

tout réparer. Écrivez mais surtout chantez !

Quand on a été nourri de l’ambroisie des

vers, le vil pain de la prose ne passe plus à

l’esprit. – J’en suis là, je voudrois des vers

et toujours des vers entraînants, ravissants,

sublimes, aussi je ne lis plus guères. Je ne

fais plus rien non plus, et je sens que je ne

ferai rien dans l’avenir, c’est à vous à me

nourrir et à me consoler »…