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Littérature

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KAFKA Franz (1883-1924).

L.A.S. « Kafka », [Prague décembre

1922], à Franz WERFEL ; 3 pages et

demie in-8 ; en allemand.

15 000 / 20 000 €

Belle lettre à son ami Franz Werfel, à

propos de sa pièce

Schweiger

, que Kafka

a jugée mauvaise, et qu’il a violemment

critiquée

.

En 1922, Franz WERFEL (1890-1945) publie

Schweiger

, drame expressionniste en trois

actes, qui déplaît vivement à Kafka. Lettre

de Kafka à Max Brod : «Hier Werfel est venu

me voir avec Pick, cette visite, qui autrefois

m’aurait fait grand plaisir, m’a plongé dans

le désespoir. Car W. savait que je connais

Schweiger

, je prévoyais donc que j’aurais

à lui en parler. S’il ne s’agissait que d’un

mécontentement ordinaire, on peut éluder

un pareil sentiment ; mais la pièce signifie

beaucoup pour moi, elle me touche de

très près, elle m’atteint atrocement dans la

région la plus atroce, j’étais à mille lieues de

penser qu’il me faudrait un jour en parler à

Werfel, moi-même je ne voyais pas bien

clairement les motifs de mon aversion, car

il n’y avait pas eu pour moi le moindre débat

intérieur en ce qui concerne la pièce, mais

uniquemment le désir de m’en débarrasser.

[...] Que pouvais-je dire à Werfel, Werfel

que j’admire, que j’admire même dans cette

pièce, mais là il est vrai à cause de la force

qu’il faut pour patauger dans ces trois actes

de boue ? » Selon Peter Stephan Jungk dans

sa biographie (

Franz Werfel

, Albin Michel,

1990), Werfel est en larmes quand il quitte

Kafka ce jour-là. Le surlendemain de leur

discussion, Kafka prépare un long brouillon,

qui est resté dans les pages de son

Journal

,

pour expliquer sa réaction, tout en critiquant

sévèrement la pièce ; puis, probablement

après avoir reçu une lettre de Werfel, il rédige

cette nouvelle lettre, atténuant quelque peu

sa critique, sans rien renier de ses réticences.

« Lieber Werfel, nach meiner Aufführung

bei Ihrem letzten Besuch konnten Sie nicht

wieder kommen, das wusste ich ja. Und ich

hätte Ihnen gewiss schon geschrieben, wenn

mir nicht das Brief-Schreiben allmählich so

schwer würde wie das Reden und wenn nicht

sogar das Brief-Wegschicken Schwierigkeiten

machen würde, denn einen Brief hatte ich

für Sie schon fertig. Es ist aber unnütz, alte

Dinge wieder aufzunehmen ; wohin käme

man, wenn man niemals davon ablassen

würde, alle seine alten Kläglichkeiten immer

wieder zu verteidigen und zu entschuldigen.

Nur dieses, Werfel, was Sie ja wohl auch

selbst wissen müssen : Wenn es sich um

ein gewöhnliches Missfallen gehandelt hätte,

dann wäre es doch vielleicht leichter zu

formulieren gewesen und wäre dann überdies

so belanglos gewesen, dass ich darüber gut

ganz hätte schweigen können. Es war aber

Entsetzen und das zu begründen ist schwer,

man sieht verstockt und zäh und widerhaarig

aus, wo man nur unglücklich ist. Sie sind

gewiss ein Führer der Generation, was keine

Schmeichelei ist und niemandem gegenüber

als Schmeichelei verwendet werden könnte,

denn diese Gesellschaft in den Sümpfen

kann mancher führen. Darum sind Sie auch

nicht nur Führer, sondern mehr (Sie haben

Ähnliches selbst in dem schönen Vorwort zu

Brands Nachlass gesagt, schön bis auf das

Wort von dem “freudig Lug-Gewillten”) und

man verfolgt mit wilder Spannung Ihren Weg.

Und nun dieses Stück. Es mag alle Vorzüge

haben von den theatralischen bis zu den

höchsten, es ist aber ein Zurückweichen von

der Führerschaft, nicht einmal Führerschaft

ist darin, eher ein Verrat an der Generation,

eine Verschleierung, eine Anekdotisierung,

also eine Entwürdigung ihrer Leiden.

Aber nun schwätze ich wieder, wie damals

und das Entscheidende zu denken und

zu sagen bin ich unfähig. Bleibe es dabei.

Wäre nicht meine Teilnahme, meine höchst

eigennützige Teilnahme an Ihnen so gross,

ich würde nicht einmal schwätzen.

Und nun die Einladung; hat man sie als

Dokument in der Hand, bekommt sie ein

noch grossartigeres wirklicheres Aussehn.

Hindernisse sind die Krankheit, der Arzt (den

Semmering lehnt er wieder unbedingt ab,

Venedig im Vorfrühling nicht unbedingt) und

wohl auch das Geld (ich müsste mit 1000

K[ronen] monatlich auskommen können),

aber das Haupthindernis sind sie gar nicht.

Von dem Ausgestrecktsein im Prager Bett

bis zu dem aufrechten Herumgehn auf dem

Markusplatz ist es so weit, dass es nur die

Phantasie knapp überwindet, aber das sind

ja erst die Allgemeinheiten, darüber hinaus

etwa die Vorstellung zu erzeugen, dass ich

z.B. in Venedig in Gesellschaft mittagesse (ich

kann nur allein essen) das verweigert sogar

die Phantasie. Aber immerhin, ich halte die

Einladung fest und danke Ihnen vielmals.

Vielleicht sehe ich Sie im Jänner. Leben Sie

wohl! Ihr Kafka »

« Après mon comportement lors de votre

dernière visite, vous ne pouviez pas revenir,

je le savais. Et je vous aurais certainement

déjà écrit, si écrire ne m’était pas aussi difficile

que parler, et si le fait même d’expédier une

lettre ne présentait pas tant de difficultés, car

j’avais déjà une lettre prête pour vous. Mais il

est inutile de ressasser les vieilles choses ; où

irait-on si l’on ne renonçait jamais à défendre

ses bassesses et à présenter ses excuses ?

Voyez seulement ceci, Werfel, que vous

devez certainement déjà savoir : s’il s’était

agi d’un mécontentement ordinaire, cela

aurait peut-être été plus facile à formuler

et de plus si peu pertinent que j’aurais pu

me taire à ce sujet. Mais c’était effroyable

et c’est difficile à justifier, on est obstiné,

dur et récalcitrant, là où l’on est seulement

malheureux. Vous êtes certainement un chef

de file de la génération, ce qui n’est pas une

flatterie et ne pourrait être utilisé comme

flatterie envers quiconque, puisque cette

société enlisée dans les bourbiers, plus d’un

peut la guider ». Et Kafka évoque la belle

préface de Werfel aux œuvres posthumes de

Karl BRAND, qui montre qu’il est plus qu’un

guide... « Et maintenant cette pièce. Elle peut

avoir toutes les qualités, qualités théâtrales

et voire plus élevées, mais elle n’en marque

pas moins un recul de votre rôle de guide […]

et même une trahison de notre génération,

une dissimulation, une anecdotisation, et

par conséquent un avilissement de ses

souffrances. Mais voilà que je bavarde

encore, comme je l’ai fait l’autre jour, et je

suis incapable de penser et de dire ce qui est

décisif. J’en reste là. Si mon intérêt pour vous

n’était pas aussi grand, un intérêt hautement

personnel, je ne bavarderais même pas ».

Puis il est question d’une invitation qu’il se

voit contraint de décliner en raison de la

maladie, du médecin qui lui déconseille le

Semmering, un peu moins Venise au début

du printemps, et aussi à cause de l’argent

– « il faudrait que je me débrouille avec

mille couronnes par mois ». Mais la raison

principale est qu’il lui paraît impensable de

pouvoir quitter la position allongée sur son lit

de Prague pour aller déambuler sur la place

Saint-Marc. Il remercie néanmoins Werfel

de son invitation…

Œuvres complètes

(Pléiade), t. III, p. 1203.