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«
V
ous
étiez
,
vous
êtes
encore
,
hors mes
deux
fils
,
le
seul
homme
que
j
'
aime
» (
Élie Faure à Soutine
).
Élie Faure, qui
avait déjà remarqué son œuvre, rencontra pour la première fois Soutine au début de
1927
. Il le considérait comme un génie
« ivre de peinture », « le premier – de très loin – des peintres vivants », comme il l'écrivait et lui écrivait. Élie Faure accueillit
Soutine chez lui, à Paris, à Bordeaux à la fin de
1927
et durant l'été de
1928
, en Dordogne dans sa maison familiale durant
l'été de
1929
, à la suite de quoi il l'emmena en Espagne pour un voyage d'où Soutine revint enchanté. Élie Faure consacra
une monographie au peintre en
1929
– la seconde à paraître après celle deWaldemar-George en
1926
. Il lui acheta quelques
toiles, dont un
Bœuf écorché
et une
Volaille suspendue
, et lui apporta un soutien financier en
1930
. L'amitié qui liait les
deux hommes était très forte, Élie Faure traitant Soutine comme un fils, mais une brouille les sépara au printemps
1930
:
Soutine serait tombé amoureux de Marie-Zéline dite Zizou, la fille d'Élie Faure. Il en parla à ce dernier (qui semble avoir
gardé le silence auprès de Zizou) mais tarda à se déclarer auprès de la jeune fille elle-même : quand il se décida enfin à le
faire, celle-ci s'était entre temps engagée auprès d'un autre – d'où la furie de l'irascible peintre.
Joint, le brouillon autographe signé de la réponse d'Élie Faure : «
S
outine
(
et
non
M
onsieur
),
vous
êtes d
'
une
injustice atroce
,
que vous regretterez
– je l'espère pour vous – quand le calme sera rentré dans votre cœur. Nul ne vous a
bafoué chez moi, nous avons été les uns et les autres victimes des circonstances et d'une imprudence commune où je ne vois
rien qui puisse diminuer le respect que je vous garde et que vous me devez aussi... Est-ce là l'estime que vous inspirait ma
fille ?...
J
e vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous
-
même
,
votre lettre n'existe déjà plus dans mon souvenir...
Je ne souffrirais pas de votre abandon si je pouvais penser une minute qu'elle représente votre réelle nature. C'est en vous-
même que vous chercherez le pardon de l'avoir écrite, et, j'aime à le croire, l'y trouverez. Ce jour-là, je vous accueillerai
en homme chez qui "l'admiration" était devenue, depuis que je vous connaissais, le complément nécessaire de l'amitié.
S
i
,
dans
cette
amitié
,
vous n
'
avez
,
vous
,
senti que
"
l
'
admiration
",
ce
serait
pour moi une
raison
suffisante de
vous
retirer
l
'
une
et
l
'
autre
,
car
cela me montrerait qu
'
il n
'
y avait qu
'
un
peintre
exceptionnel
là ou
j
'
avais
cru
trouver un homme
. E
t
ce ne
serait
pas
tant
pis
pour moi
,
mais
tant
pis
pour
vous
. J
usqu
'
au
jour
–
que
j
’
espère
proche
–
ou
vous
vous apercevrez
que
l
’
humilité est
la conquête même et
le refuge de
l
'
orgueil
...
Je vous attends donc avec confiance, des mois et des années
s'il le faut.
V
ous étiez
,
vous êtes encore
,
hors mes deux
fils
,
le
seul homme que
j
'
aime
...
J'ai
57
ans. Je disparaîtrai peut-être
sans que vous m'ayez pardonné le mal que nul chez moi n'a voulu vous faire, et dont je vous pardonne, moi, la vilaine
interprétation. Mais si je meurs sans que vous soyez venu me dire que vous vous êtes trompé, non pas sur mon compte,
mais sur le vôtre même, ce sera l'âme tranquille, avec la conviction que vous regretterez un jour de ne pas être revenu vers
moi. Et c'est dans cette conviction qu'est la preuve de l'affection, du respect et de "l'admiration" qu'il ne dépend que de
vous que je persiste à vous accorder.
D
e
loin
,
votre peinture me dira
si vous demeurez
l
'
homme que
je vois
encore
en vous
.
E
n attendant
,
je reste votre
seul ami
,
et votre
solitude
est ma
souffrance
...
»
« A
u moment où
l
'
on m
'
outrage
,
il ne
falait
pas
parler de
penture
... »
115. SOUTINE
(Chaïm). Lettre autographe signée «
C. Soutine
» au médecin, historien et critique d'art Élie Faure.
Paris, «
dimanche
» 27 avril 1930 ; enveloppe avec cachet de la poste daté du 28, signée au verso.
3 000 / 4 000
Un témoignage brûlant de son caractère emporté et orgueilleux
.Tourmenté, emporté dans son travail d'artiste,
Soutine n'était pas moins brutal avec ceux qu'il rencontrait, malmenant amis et mécènes, d'où de nombreuses brouilles.
«
M
onsieur
,
j
'
ai
beaucoup
pensé
et
réfléchi
à
votre
lettre
et
j
'
aimerais
mieux
qu
'
elle
me
bafoue
que
toute
cette
admiration que
vous me
jetez à
la
figure
.
Au moment où l'on m'outrage, il ne falait pas parler de penture.
Et vos sentiments d'amitié, que voulez-vous qu'ils viennent à ce moment-là ? La conversation à l'avenir n'a donc plus
aucun sens. Croyez cependant que je garde de certaines moment un joli souvenir...
»