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119. VIAN

(Boris). Dactylographie corrigée complète de son roman

L'Écume des jours

, signée au crayon en deux endroits

(avant-propos et fin), avec page de titre autographe signée à l'encre. Les corrections, à l'encre bleue et noire ou au

crayon, sont de plusieurs mains, dont parfois celle de Boris Vian lui-même, mais le plus souvent celle de Michelle

Vian. [1946]. (2)-231 ff. in-folio dactylographiées (carbones), chiffrés 1 à 40 et 42 à 232 sans manque de texte

apparent ; en feuilles, trous de classeurs, rares rousseurs et taches, quelques accrocs marginaux.

15 000 / 20 000

Précieuse dactylographie annotée demeurée inconnue aux éditeurs de la Pléiade

(

2013

). La saisie en a très

probablement été assurée par l'épouse de Boris Vian, Michelle Léglise, comme une autre dactylographie connue mais

aujourd'hui disparue. La page de titre, de la main de Boris Vian, porte la dédicace sincère et parodique «

Pour mon bibi

»

(surnom familier deMichelle Léglise) qui ne fut pas toujours restituée dans les éditions successives. Cette page porte également

le numéro de téléphone et l'adresse du «

98

f

[aubour]

g Poissonnière , Paris X

e

» où le couple résida d'août

1942

à la fin des

années

1940

. Rappelons que le seul manuscrit autographe connu est actuellement conservé à la Bibliothèque nationale.

Nombreuses corrections sur les trois quarts des feuillets

, dont une quarantaine destinées à amender le style,

les autres corrigeant des fautes de saisie ou restituant des passages mal rendus au carbone.

Un triomphe littéraire, mais posthume.

Écrit en moins de trois mois, de mars à mai

1946

, ce roman fut soutenu chez

Gallimard par Raymond Queneau, et présenté au prix de la Pléiade, richement doté, que la maison décernait à un jeune

auteur. BorisVian crut au succès de cette démarche, en y plaçant l'espoir de pouvoir ensuite embrasser pleinement la carrière

d'écrivain – en juin

1946

, cependant, le prix fut attribué à l'abbé Jean Grosjean qu'avait soutenuAndré Malraux. Un contrat

fut néanmoins signé avec Gaston Gallimard en septembre

1946

, et l'ouvrage, achevé d'imprimer le

20

mars

1947

, sortit en

librairie le

16

avril suivant dans la prestigieuse « collection blanche ». De larges extraits avaient entre temps été publiés en

octobre

1946

, par Jean-Paul Sartre dans le n°

13

de sa revue

Les temps modernes.

Rendue méfiante par le scandale de

J'irai

cracher sur vos tombes

, la critique demeura généralement silencieuse, et

L'Écume des jours

ne rencontra pas, tout d'abord,

le succès attendu : en

1956

, même, une partie du tirage fut mise au pilon. Mort en

1959

, Boris Vian ne connut pas le succès

phénoménal que rencontra son œuvre à partir de

1963

, quand elle fut rééditée simultanément chez Jean-Jacques Pauvert et

dans la collection de poche «

10

/

18

» – la barre du million d'exemplaires vendus serait franchie dès

1974

.

« L'histoire est entièrement vraie, puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre... »

Sinon le chef-d'œuvre de Boris Vian, du moins, selon lui, le socle fondateur de son parcours d'écrivain.

Rédigé avec une maîtrise consciente d'elle-même,

L'Écume des jours

est son troisième roman publié, après

J'irai cracher

sur vos tombes

(novembre

1946

, sous pseudonyme) et

Vercoquin et le plancton

(janvier

1947

), et même son quatrième

roman achevé, si l'on tient compte de

Trouble dans les andains

, diffusé dans son cercle intime en mai

1943

mais seulement

publié en

1966

, de manière posthume.

Encore marqué par l'innocence et l'optimisme, il s'agit de son seul roman à raconter un amour de

manière pudique

, ce qui fit écrire à Raymond Queneau que

L'Écume des jours

est « le plus poignant des romans

d'amour contemporains » (avant-propos à

L'Arrache-Cœur

), et à Pierre Mac Orlan qu'elle est « un des rares livres de la

jeunesse de ce temps » (dédicace à Boris Vian de son roman la

Lanterne sourde

). Boris Vian résuma lui-même cela d'un

air faussement dégagé dans son avant-propos : « Il y a seulement deux choses, c'est l'amour, avec des jolies filles et la

musique de La Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington. Le reste devrait disparaître, car le reste est laid, et les quelques

pages de démonstration qui suivent tirent toute leur force du fait que l'histoire est entièrement vraie, puisque je l'ai

imaginée d'un bout à l'autre... » Michelle Léglise dirait cependant que c'est elle qui a inspiré le personnage de Chloé,

ayant, par une grave maladie, donné de l'inquiétude à Boris Vian.

«

Un réel sommet dans les jeux de langage

» (Pléiade, notice, p.

1189

). À la suite d'Alfred Jarry ou de Raymond

Queneau, Boris Vian a entrepris ici une déconstruction systématique de la langue française, usant de néologismes,

déformations ludiques, calembours, expressions imagées employées dans leur sens littéral, etc. Ces procédés inattendus

qui prennent pied dans la réalité du récit entretiennent une impression de comique mais aussi d'étrangeté, avec des

résultats parfois proches de l'univers surréaliste, mais aussi de celui de la pataphysique. En revanche, Boris Vian a

maintenu un cadre structuré, rappelant la tragédie classique autour du destin malheureux du couple formé par les

personnages de Colin et Chloé, avec une progression soulignée par des éléments spatiaux comme le rétrécissement des

volumes et le ternissement des couleurs.

Le jazz comme musique de fond et principe structurant du texte

(

cf.

Pléiade, notice, p.

1184

). Boris Vian, lui-même

musicien de jazz, évoque ici de manière significative plusieurs des grands standards de cette musique, infusant une atmosphère

américaine à ce texte fictivement daté du

8

-

10

mars

1946

à Memphis, Davenport et La Nouvelle-Orléans aux États-Unis.

Avec un hommage burlesque à la geste sartrienne

. Les personnage de Jean-Sol Partre et de la duchesse de Bovouard,

présents en pointillé tout au long du récit,permettent à BorisVian de célébrer ces deux écrivains tout enmoquant l'engouement

qu'ils suscitaient. Au chapitre XXVIII de l'

Écume des jours

, la transposition truculente de la célèbre conférence de Sartre,

« L'existentialisme est un humanisme », demeure un sommet de drôlerie.

D'après une note manuscrite jointe, ce jeu dactylographié proviendrait des papiers de l'écrivain et critique Joë Bousquet

qui faisait alors partie du juré du prix de la Pléiade pour lequel

L'Écume des jours

concourut.