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« L
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C
osaques
sont
très
cruels
,
à ce que m'a dit M
lle
Ciment
I
ls n
'
épargnent
pas
les
femmes
.
Je lui ai dit qu'ils avaient bien raison.
»
118. STENDHAL
(Henri Beyle, dit). Lettre autographe à sa sœur Pauline Périer-Lagrange. Lyon, 16 mars 1814. 2 pp.
in-4, adresse au dos, petite déchirure marginale due à l'ouverture sans atteinte au texte, petite fente marginale
restaurée de manière visible.
1 500 / 2 000
Lettre faussement désinvolte écrite en pleine débâcle militaire.
Auditeur au Conseil d'État, Stendhal avait été
envoyé en décembre
1813
dans la
7
e division (Isère, Hautes-Alpes, Drôme, Léman, Mont-Blanc), pour seconder le comte
de Saint-Vallier, commissaire extraordinaire de l'empereur, dans l'organisation de la défense du Dauphiné face aux
Autrichiens. Les deux hommes déployèrent une énergie peu commune et s'avérèrent d'une grande efficacité, permettant
la reprise de Chambéry. Stendhal, un temps pris de maladie, était conscient que la situation militaire générale était
désespérée, et, neuf jours après cette lettre, partirait pour Paris où il assisterait à l'entrée des Alliés, parmi lesquels les
Russes. L'Empire avait vécu, et avec lui ses ambitions de Stendhal, qui allait partir à la fin du mois de juillet pour l'Italie.
«
Hélas, hélas ! Madame Ciment m'a montré le pouce de sa main gauche empaqueté : elle ne peut presque pas s'en aider
depuis trois semaines. C'est un rhumatisme. Quelques personnes avaient prétendu que c'était un rhumatisme gouteux.
Rien que ça. Elle en a écrit à son cousin Périer, mais apparemment il n'y a pas fait attention, car il ne lui en a pas parlé
dans ses réponses. Enfin, d'après le conseil d'une amie, elle a enveloppé le doigt souffrant dans un petit morceau de peau
de chat sauvage. Si cela ne fait pas de bien, cela au moins est bien innocent. Voilà ce que j'ai à te dire pour aujourd'huy,
excepté tous mes souhaits pour le bonheur de m
[adam]
e Derville. La m
[aî]
tresse de l'Hôtel du Commerce remettra
à Girerd ta lorgnette
[Henri Girerd était le neveu de l'époux de Pauline Beyle].
Je ferai un paquet de
3
chemises,
3
mouchoirs et
1
cravate, je crois, que j'ai à toi, et te le remettrai à ta première course à Paris. Si tu veux le domestique
Garnier, écris à monsieur Frédéric, valet de chambre de M. le b
[aron]
Finot, préfet à Chambéry
[Antoine Finot, alors
préfet du Mont-Blanc, qui deviendrait notamment préfet de l'Isère sous la Restauration].
L
es cosaques
sont très cruels
,
à ce que m
'
a dit
M
lle
C
iment qui a beaucoup parlé avec moi
. I
ls n
'
épargnent pas
les
femmes
.
J
e
lui ai dit qu
'
ils avaient
bien
raison
. »
Jeux de masques.
Stendhal fait ici usage de pseudonymes pour désigner des proches : « madame Ciment » et
« mademoiselle Ciment » désignent Jeanne-Marie Dumortier et sa fille Marie-Aline Dumortier, cousines des
Périer-Lagrange (famille du mari de Pauline Beyle), tandis que « madame Derville » désigne Sophie Gautier, amie de
Pauline Beyle. Cette pratique, qu'il s'appliquait aussi à lui-même en signant de noms divers et variés, était fréquente
dans sa correspondance : il y entrait du plaisir, un désir d'évasion, mais aussi parfois de la malice et une sorte de tentation
parricide. Stendhal en usa également dans son œuvre littéraire, menant un important travail d'invention et de jeu sur les
noms de personnages et de lieux, désinvoltes ou ludiques, mais souvent signifiants, notamment pour les personnages les
plus importants où ils se donnaient à lire comme le symbole d'un destin.
Sœur préférée de Stendhal, Pauline
avait épousé en
1808
François-Daniel Périer-Lagrange et habitait alors au
château de Thuellin près de Brangues où se déroulerait le fait divers à l'origine du roman
Le Rouge et le noir.
Stendhal,
Correspondance
, Paris, Gallimard (Nrf, Pléiade), t. I,
1962
, p.
765
, n°
559
.
Joint : Stendhal.
Lettres à Pauline
. Paris, « La Connaissance »,
1921
. In-
12
carré, chagrin bleu, dos à nerfs, couvertures
et dos conservés, mouillures marginales aux premiers feuillets.
Édition originale
, un des quelques exemplaires
hors commerce non numérotés tirés sur vergé d'Arches.
3
portraits hors texte. Envoi autographe signé de l'éditeur
René-Louis Doyon au peintre Georges Rochegrosse.