3
LITTÉRATURE
1.
Émile Chartier dit ALAIN
(1868-1951).
M
anuscrit
autographe signé,
Propos d’un Normand
, [1908] ; 2 pages in-8 au
crayon.
300/400
S
ur
le
cinématographe
(propos publié dans
La Dépêche de Rouen
du 1
er
juillet 1908). Conversation devant une grande publicité
lumineuse : « Le cinématographe pénètre partout, s’impose partout, non pas parce que le public le désire, mais parce que les producteurs
ont des appareils et des vues à placer. Le public est un bon diable […]. On lance un auteur ou un acteur comme un purgatif. Quand le
chemin est battu, les moutons y courent »…
2.
Émile Chartier dit ALAIN
.
2
manuscrit
s autographes signés,
Propos d’un Normand
, [1909] ; 4 pages in-8. 500/700
T
extes
sur
l
’
art
publiés dans
La Dépêche de Rouen
des 4 et 25 mai 1909 et recueillis dans
Préliminaires à l’esthétique
(Gallimard, 1939).
– Sur les limites de l’Art. « Il y a trop d’artistes. On n’y peut rien, direz-vous. On peut toujours le constater. Le premier venu, s’il essaie
de peindre d’après nature, s’aperçoit avec ravissement que ce n’est pas aussi difficile qu’il le croyait, surtout s’il a un maître habile, et s’il
ne craint pas d’imiter les images de l’un, les bruyères de l’autre, et les ronds dans l’eau d’un troisième »… Notre éducation esthétique
« nous a rendus très indulgents. […] Il y a une chose que l’on devrait dire, c’est que le commencement, dans les beaux-arts, n’est jamais
difficile. On arrive très vite au passable. […] Toutes ces œuvres d’art sont bien écrites, bien peintes, bien sculptées ; et ce n’est rien du
tout »… – Sur l’Art dans ses rapports avec la Raison : « Nos cathédrales seraient bien laides si elles n’avaient pour nous plaire que les
statues des saints et des rois, ou les monstres des gargouilles. Mais tous ces ornements faits pour plaire sont heureusement perdus dans
l’ensemble. Ce sont les lignes tout à fait simples sévères et dénudées de la grande nef qui sauvent tout. Moins une cathédrale est ornée
plus elle est belle quand elle est belle. Or ceux qui ont arrondi et entrecroisé ces arceaux à vingt mètres du pavé ne pensaient pas, je
crois, à la beauté ; ils pensaient à la solidité ; ils ont rencontré le beau sans l’avoir cherché. La superstition fut le premier moteur, j’en
conviens ; mais c’est la Raison qui fut l’architecte »…
3.
Émile Chartier dit ALAIN
.
M
anuscrit
autographe signé,
Propos d’un Normand
, [1910] ; 2 pages in-8.
400/500
T
rès
beau
texte
sur
T
olstoï
(publié dans
La Dépêche de Rouen
le 20 novembre 1910, et recueilli dans la 4
e
série des
Cent Un Propos
en 1914). « Comment dessiner Tolstoï ; dans quel trait l’enfermer ? C’est un Univers. C’est l’Univers commun où nous sommes. Ils
disent : génie étrange, âme slave. J’aperçois justement le contraire ; toute son œuvre est pour tous, directement et immédiatement pour
tous. Ni subtilité ni raffinement ; c’est réellement génial parce que c’est réellement ordinaire. [...] c’est la Raison commune en liberté
dans l’Univers ; mêlée à l’Univers. Si je dis qu’il est Biblique, ou Évangélique, ou Lyrique, je voudrai dire toujours la même chose.
[...] Pèlerinage en commun dans la Patrie commune. Fraternité et salut pour tous, dans tous les sens à la fois. Telle est la magie de ce
magicien. »
4.
Émile Chartier dit ALAIN
.
M
anuscrit
autographe signé,
Propos d’un Normand
, [1912] ; 2 pages in-8.
300/400
M
éditation
sur une
pensée d
’A
uguste
C
omte
(texte publié dans
La Dépêche de Rouen
du 1
er
juillet 1912) : « “J’ai toujours représenté la
souveraineté du peuple comme une mystification oppressive et l’égalité comme un ignoble mensonge”. Je veux bien méditer là-dessus ;
mais je prétends aussi résister à un mouvement secret de passion, qui jetterait joyeusement la Fraternité par-dessus bord. Car ici tout est
piège. Dès qu’un homme est un peu instruit, l’image d’un peuple grossier, livré aux passions, écrasé et abruti par le métier, paie tout de
suite celui qui la laisse seulement se former. Bien mieux, les suffrages de l’élite attendent, guettent ce petit mouvement de trahison ».
Alain cite
G
oethe
à l’appui de cette thèse, ainsi que
La République
de
P
laton
: « Vous y trouverez une espèce de mépris féroce pour
le chaudronnier mal débarbouillé qui prétend se marier à la philosophie. On y retrouve les mêmes images que dans Aristophane ; le
peuple, à moitié sourd et presque aveugle, animal énorme, péniblement dressé par des flatteurs. […] L’égalité mensonge ? Sans doute en
ce sens que les hommes ne sont pas égaux en force, en adresse, en science, en talents ? […] L’égalité est-elle un ordre de fait ? Mais y
a-t-il un ordre de droit sans égalité ? La justice n’est-elle pas toujours un bel effort contre l’inégalité naturelle ? »…
5.
Alphonse ALLAIS
(1855-1905).
M
anuscrit
autographe signé,
Le Comble du darwinsime
, [1888] ; 5 pages et demie
in-8 (quelques petits défauts).
500/600
Amusant texte dédié à Lionel
N
unès
, paru dans
Le Chat noir
du 19 mai 1888, et recueilli dans
À se tordre
(1891). « Je n’ai pas toujours
été le vieillard quinteux et cacochyme que vous connaissez aujourd’hui, jeunes gens. Des temps furent où je scintillais de grâce et de
beauté. […] À cette époque bénie, la muse de la Prose n’avait que légèrement effleuré, du bout de son aile vague, mon front d’ivoire.
D’ailleurs la nature de mes occupations était peu faite pour m’impulser vers d’aériennes fantaisies. Je me préparais, par un stage pratique
dans les meilleures maisons de Paris, à l’exercice de cette profession tant décriée […]. Dois-je ajouter que le seul fait de mon entrée dans
une pharmacie déterminait les plus imminentes catastrophes et les plus irrémédiables ? Le patron devenait rapidement étonné, puis
inquiet et enfin insane, dément, gâteux parfois. Quant à la clientèle, une forte partie en était fauchée par un trépas prématuré ; l’autre,
manifestant des véhémentes méfiances, s’adressait ailleurs. […] Bref, je traînais dans les plis de mon veston le spectre de la faillite, la
faillite au Sourire vert »… Il aimait augmenter les doses, trouvant centigrammes et milligrammes « si misérables » ! Il évoque un client
particulièrement bavard, qui « considérait Darwin comme un grand coupable et ne parlait rien moins que de le pendre ». Un jour qu’il
venait accompagné de son « chien mouton tout blanc » dénommé Black qui souffrait de démangeaisons, Allais lui conseilla un bain
sulfureux mais, se trompant de produit, le chien devient tout noir. Et de se justifier : « Nierez-vous maintenant la théorie de Darwin.
Non seulement les animaux s’adaptent à leur fonction, mais encore aux noms qu’ils portent. Vous avez baptisé votre chien Black, et il
était inéluctable qu’il devînt noir »…