104
373.
Henri MATISSE
. L.A.S., Vence 3 février 1944, à Henry de
M
ontherlant
; 10 pages in-4 et 2 pages in-8. 1 800/2 000
S
uperbe
et
très
longue
lettre dans
laquelle
M
atisse
réconforte
M
ontherlant qui
souffre d
’
insomnie
,
et
fait
l
’
éloge de
la
sieste
. I
l
raconte
l
’
histoire de
L
a
D
anse
et
L
a
M
usique
refusés
par
C
htchoukine
,
et
évoque
la
situation
à
N
ice
à
la
fin de
la
guerre
. La lettre
est écrite à l’encre bleue, et Matisse en a marqué ou souligné certains passages au crayon rouge.
« Du calme, cher ami, vous exagérez certainement […] Depuis un
demi siècle
je ne dors que
5
heures par nuit ; et j’ai travaillé presque
tous les jours et beaucoup d’heures par jour – j’ai 75 ans cette année, et j’ai l’esprit encore assez vigoureux pour empoisonner la vie d’un
éditeur et d’un imprimeur qui ont le sang plus lourd que le mien. – Je suis aussi exigent pour moi que lorsque j’avais 30 ou 40 ans, le
dynamisme de mes œuvres n’a pas diminué, il a augmenté au contraire parce que ayant mis de l’ordre dans ma cervelle je ne fais plus 3
pas en avant et 2 en arrière. Il m’est arrivé après un très gros effort suivi d’une déception d’être un mois entier sans dormir. Après avoir
travaillé 3 ans mes deux panneaux de Moscou,
la Danse
et
la Musique
, l’amateur [Sergeï
C
htchoukine
] les refusa craignant d’introduire
dans son milieu une peinture aussi peu habituelle. Malgré qu’avant d’être retourné à Moscou, pendant le voyage de retour il m’eut
envoyé une lettre de réparation très humble en revenant sur sa décision, le coup était porté – et en Espagne quelques jours après le
sommeil me quittait – d’une façon absolue ». À Madrid, Cordoue, Séville, impossible de dormir : « je cultivais ma peur du sommeil. Le
sommeil est revenu quand j’ai voulu admettre que l’insomnie n’avait pas tant d’importance – et surtout lorsque j’ai fait régulièrement
tous les jours une sieste d’une bonne heure après le déjeuner […] plus on dort, plus on peut dormir. Les nerfs sont plus calmes ». Il
raconte les consultations qu’il avait prises auprès de deux grands chirurgiens, le Dr Desjardins Thierry de Martel, et expose la théorie
qu’il a élaborée au fil des années à propos du sommeil et des bienfaits de la sieste… « Je sais qu’il parait impossible pour un homme
traqué par l’insomnie de s’installer pour faire la sieste. Il est alors nécessaire de décomposer : 1° On peut toujours s’allonger après le
déjeuner, pour une heure, en lisant. Il faut prendre cette habitude. 2° On peut très naturellement interrompre sa lecture pour rêver.
Quelquefois le corps se détend et une somnolence d’un instant arrive »… On peut ainsi dormir un court instant, et cinq minutes même
suffisent pour certains. « Mais il est nécessaire surtout de se dominer, de choisir entre sa volonté et tout le reste ». La nervosité n’est pas
corollaire de l’énergie, au contraire : « L’excitation avant le travail est une vieille blague romantique ; j’ai plutôt besoin de calmant avant
de commencer un tableau, pour dominer mon émotion, mon trac – aussi mon calmant habituel est de tempérer ma fièvre d’action en
quittant mon chevalet portant la toile encore blanche, pour aller et venir en fumant une cigarette avant d’attaquer. – Cœur chaud et tête
froide – on n’a la tête froide que lorsqu’elle est reposée ». Matisse ne prend plus de somnifères depuis vingt ans… Depuis 4 ans, suite à
une série de maladies, une infirmière vient l’aider à s’endormir, « elle me fait des frictions, des lectures » ; et il sieste quotidiennement.
« Je crois qu’il faut surtout chercher un équilibre d’esprit. […] Vous avez un grand talent et du sang. Vous avez assez de succès pour
arriver vite à en être dégoûté et arriver à la grande indépendance ». Il lui conseille de se convertir à l’homéopathie, « la médecine des
nerveux », qui s’est avérée très efficace pour lui, et lui recommande chaudement le Dr
B
orliachon
, qui l’a plusieurs fois tiré d’affaire
alors que la médecine traditionnelle n’avait rien pu faire… Mais il faut avant tout arrêter les somnifères, se désintoxiquer « de toutes les
horreurs dont vous vous êtes bourré »… Il est certain d’avoir raison : « vous ne pouvez continuer à vivre ainsi ; […] vous pouvez faire un
rétablissement solide, pensez à votre âge. Mais il faut du caractère, de la patience – savoir ce que vous voulez »…
Puis il en vient aux événements : « L’évacuation de Nice est décidée et partent ceux qui veulent. Elle est voulue par les occupants.
Celle de Vence est moins certaine ». Il vit au jour le jour, s’étant assuré « du gite de repli. Malheureusement le département vient d’être
interdit pour cause d’épuration. […] je ne veux plus m’en faire pour un avenir incertain, […] mais je laisse courir en travaillant de mon
mieux sans savoir si le temps me laissera finir ce travail qui calme la grande curiosité que je n’ai pas perdu et qui me fait vivre »…
Reproductions page 103
374.
Henri MATISSE
. L.A.S., Vence 29 février 1944, à Henry de
M
ontherlant
; 2 pages in-4 et 4 pages oblong in-8.
1 000/1 500
I
ntéressante
lettre
autour
de
deux
projets
de
collaboration que
M
ontherlant
propose
à
M
atisse
.
Il est heureux d’avoir pu aider Montherlant à combattre ses insomnies. Il l’encourage à faire de la gymnastique et promet de ne plus
parler d’homéopathie, puisque qu’il s’en passe parfaitement, que cette médecine n’est pas encore reconnue « et même niée par les
pontifes de l’Académie »… Puis il en vient au projet de Montherlant autour de photographies de nus féminins, auquel il a proposé à
Matisse de s’associer : « Votre départ sur les photos de nus féminins m’amuse ». Il ne sera pas facile d’en faire un livre, « tout au plus une
préface pour une édition de reproductions de ces [affriolantes
biffé
] beautés. Les photos sont évidemment éloquentes […] elles peuvent
parler à l’esprit, et aux sens, ou bien à un seulement et aux autres exclusivement. Votre rôle de commentateur est d’expliquer par quel
bout ils nous touchent, le bout noble ». Il ne peut pas l’aider pour cela : il faudrait qu’il puisse voir ces photos, et leur propriétaire y
tient trop pour les lui communiquer : « Je ne pourrais rien en dire avec des mots, ça c’est pour vous. Je pourrais en tirer des dessins qui
dégageraient l’essence des choses que j’y verrais. Mais ça c’est une œuvre assez importante. Voyez une série de photos dont la qualité
essentielle serait dégagée par Montherlant & Matisse. Si j’étais plus jeune, je veux dire seulement si je n’avais tant de choses sur la
planche pour mes dernières années ! » Il pourrait éventuellement réaliser cette idée avec
D
espiau
« le subtil » ou Mariette
L
ydis
« la
suave »… À propos d’un autre projet d’illustration d’un « traité d’astronomie », il lui signale trois gravures de
D
ürer
des hémisphères
et des signes du zodiaque sur les tropiques de la sphère terrestre : « Que pourrais-je faire de plus ? Une illustration d’un manuel
d’astrologie dont vous imagineriez un texte phantaisiste et rabelaisien ! ça colle ? ». Il propose à Montherlant de lui envoyer le portrait
qu’il a fait de lui…
375.
Henri MATISSE
. L.A.S. « H.M. », Vence 19 mars 1944, à Henry de
M
ontherlant
; 4 pages in-8.
1 000/1 200
B
elle
lettre
amicale
sur
l
’
édition
illustrée
par
M
atisse de
P
asiphaé
. C
hant
de
M
inos
de
M
ontherlant
(Paris, Martin Fabiani, 1944).