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congestion au poumon et pense à bien des choses
« avec un recul-en-moi-même extraordinaire. [...]
Le bonheur est chose terrible à entrevoir – terrible
à perdre. Sans lui, la vie est moins que rien.
Avec lui, elle est toujours dans les angoisses »...
Lundi [9 octobre]
. Il n’a ni projets, ni presque de
pensées. « C’est une étrange phase de ma vie. Je
suis gelé d’un côté. Mon recueil [
Charmes
] a eu
véritablement une “presse” merveilleuse. Et je
demeure froid – étranger à ce bruit inattendu. Je
suis absent. D’autre part, je me sens voguer dans
l’inconnu. Santé, situation, état-du-cœur – tout est
énigmes. L’esprit aussi. Je travaille vaguement et
comme à la surface de ma pensée »...
1923
.
Vendredi [Paris 16 mars]
. Il vient de quitter
C. : « Quelles fluctuations ! – Le pire, le mieux,
sont inextricables dans cette tragédie singulière.
[…] Quelle étrange créature, je crois même que sa
bizarrerie, ces extrêmes, sa terrible mobilité m’ont
possédé comme un de ces problèmes dont l’esprit
ne peut s’arracher »...
Montpellier mercredi [2 mai]
.
« J’ai eu un mois de bonheur. Ce mot est bête. Il
est pour les femmes de chambre. Mais après tout
elles ont peut-être raison de croire à la chose et de
la nommer. J’ai eu grand-peine à quitter ce mois
ou ce moi »...
Samedi [Paris 2 juin]
. Il est dans un
tourbillon : « Les choses académiques sont aussi des
choses infernales. On m’a jeté dans des difficultés
inutiles, et dans des fatigues supplémentaires. Je
suis à bout. Il a fallu cette semaine courir, trouver,
interroger. J’ai vu Boylesve, Régnier, Barthou, de
Flers... Demain, je reviens à Hanotaux qui attend
une réponse. [...] Barthou et Flers me font sentir que je ne suis pas tout à fait mûr encore. Ils ont raison, les autres sont
plus affirmatifs. J’ai envie d’envoyer tout au diable. [...] Mais on dit que le fauteuil nourrit son homme »...
Lundi [18
juin]
. Il a vu
G
ide
. « Il ne s’engage pas beaucoup. Mais je compte bien qu’il ne sera pas
contre
, et c’est énorme ! »...
Montpellier 11 [mai 1924]
. « Me voici en route pour Madrid. J’ai été magnifiquement reçu en Italie, Mussolini,
D’Annunzio etc. et même une princesse sœur de la reine, m’ont comblé de prévenances »...
Jeudi
. Sur
Belle Rose
de Mme de Brimont (1933)
: « ce qui demeure et s’impose aussitôt est l’étrange atmosphère
créée. L’analyse y trouve un complexe bien rare d’élégance, de sensualité fine et d’ésotérisme. Vous avez certainement
un sens singulier de cet accord – c.à.d. de telle et de telle époque qui l’a réalisé. Je ne vous savais si instruit des choses
girondins »...
Jeudi
. « Cet hiver mal vécu me rappelle d’autres hivers. J’ai retrouvé, ce matin, quelques lettres et cartes
de vous, d’il y a plusieurs années. J’ai ruminé des souvenirs [...]. J’ai pensé avec douceur que vous m’étiez demeurée
une amie fidèle et sûre. On se voit peu, mais dans le tohu-bohu de la vie de Paris telle qu’elle est aujourd’hui, on ne
peut se voir que si mal ! »... – La correspondance se poursuit jusqu’en 1941, avec une lettre de condoléances sur la
mort du baron de Brimont : « Il est donc une victime morale de la guerre, tué par le sentiment de la défaite – pendant
que l’on voit de tous côtés trop de Français qui ont pris légèrement leur parti de cette ruine peut-être irréparable de la
nation »… On rencontre aussi au fil des lettres les noms de Capus, Donnay, Robert de Flers, Fabre-Luce, La Sizeranne,
Meyer, Pourtalès, Mmes de Béhague, de Clermont-Tonnerre, de Pierrebourg, etc. Citons encore un
Sonnet à Renée
:
« Esprits subtils qui traversez les murs / pour nous jeter la rose inimitable »… ; et un quatrain sur carte de visite :
« Ce n’était que fange et limon
Ô Narcisse que ton mirage
Auprès du transparent ouvrage
De la baronne de Brimont ».
187.
Paul VALÉRY
. L.A.S., jeudi [27 octobre 1927], à Raymond
R
ecouly
; 2 pages in-8, en-tête
Académie
Française
, enveloppe.
200/250
Il remercie son confrère de sa lettre au sujet de l’article de son neveu : « j’abuse aussitôt de votre obligeance pour
vous recommander mon ami Albert
P
auphilet
, écrivain et navigateur (l’été) qui désirerait qu’un petit livre de mer qu’il a
fait pût concourir pour le prix du Touring Club. Pauphilet est un garçon des plus distingués, qui enseigne brillamment
la littérature à la Faculté à Lyon et qui met à la voile pendant les vacances. Quant à la politique, de quelque part que
l’on se tourne, on ne voit que des sujets d’inquiétude. Mais le principal est en nous ! »…
Jeudi 20 juin 2019 à 14 heures