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les collections aristophil
d’une femme qui vécut plusieurs années dans l’entourage immédiat
de l’Empereur.
Les mémoires s’ouvrent à l’époque de la seconde abdication, en
juin 1815, à l’Élysée. Albine raconte la décision de son mari de suivre
l’Empereur – « c’était lui disait-on une insigne folie » –, leur départ
précipité pour Malmaison, où elle vit le général Labédoyère, le front
« empreint de sa fatale destinée » (il fut passé par les armes en août
1815), et la Reine HORTENSE, qui « alloit continuellement dans l’app
t
de l’Empereur » et qui s’étonna, alors qu’on disait que les Cosaques
allaient envahir le château, que Napoléon lise un roman. « Je fus très
frappée de cette apparence d’insouciance et d’abandon de soi-même
dans une aussi importante circonstance. Depuis, j’ai pu juger que lors-
qu’il avoit l’esprit tendu par quelque contrariété c’etoit le moyen qu’il
employoit »… Elle raconte le voyage à Rochefort, les personnages qui
s’y trouvaient, la répartition de leur groupe entre la
Saale
et la
Méduse
,
la visite à l’île d’Aix, la discussion entre l’Empereur et ses généraux
sur la convenance de se confier à la générosité du gouvernement
anglais, discussion déterminante pour la confiance que l’Empereur
devait accorder à Montholon… Suivent des anecdotes sur l’Épervier,
le
Bellérophon
, le
Superbe
, Plymouth, et l’amiral KEITH qui annonça
la destination de Sainte-Hélène : « C’est nous dit-il, pour le plus grand
avantage de l’Empereur, que le cabinet a pris cette détermination.
En Angleterre on eut été obligé de le tenir enfermé dans quelque
château tandis que là
il sera libre
(on verra comme il le fut) »… Ils font
voile sur le
Northumberland
: Albine raconte la traversée, la tenue de
l’Empereur et des officiers, leurs occupations : lecture, promenades,
jeux, apprentissage de l’anglais (Albine), causeries (anecdote sur une
indiscrétion de l’Empereur « sur les mœurs de l’Égypte qui m’embar-
rassa extremement »), parties d’échecs (GOURGAUD « battait quelque
fois l’Empereur », mais Montholon « se laissait battre volontairement
par l’Empereur »)… L’Empereur commence à dicter ses mémoires… « Il
s’était imaginé que j’avais des préventions contre lui […]. M
r
de LAS
CASES lui rendit compte de ce qu’après une conversation dont il faisait
le sujet je lui avais dit en venant ici on peut croire que j’ai commencé
par suivre mon mari : mais à présent c’est bien l’Empereur que je
suis – heureuse d’attacher mon sort à sa destinée. En effet depuis
que je voyais l’Emp. d’aussi près, je l’admirais et l’aimais chaque jour
d’avantage »… Et de parler avec admiration de ses manières, et des
discussions « d’homme à d’homme » qui l’élevaient dans l’esprit de ceux
qui l’écoutaient. « Ce mélange de véritable grandeur et de simplicité
les attirait, et leur inspirait confiance. À table où la conversation était
générale le sujet qu’il traitait était toujours d’un grand intérêt – jamais
on ne l’entendait sans que l’esprit n’en fut éclairé sur quelque point,
ou forcé à réfléchir. Je reviendrai encore à ces conversations, à ce
génie si lumineux. L’équipage l’aimait. Il y a dans des manieres vraies
quelque chose qui séduit »…
Le deuxième cahier est consacré au quotidien à Sainte-Hélène : les
Briars, la famille BALCOMBE, les travaux à Longwood. Albine parle de
l’île (topographie, histoire, climat) et de la demeure de l’Empereur, des
mesures de sécurité, des domestiques. « Depuis notre établissement
à Longwood je voyais l’Empereur, et l’entendais avec un intérêt qui
s’accroissait chaque jour de toute l’admiration, et tout l’attachement,
que son caractere, son genie, tout lui enfin inspirait. S’il est vrai en
général que les rois comme les montagnes soyent bons à voir à
distance il n’en était pas ainsi de lui ; plus on le voyait de près, plus
on l’aimait »… Anecdotes, remarques de l’Empereur sur la littérature,
son appréciation de l’égalité d’humeur d’Albine : « dans ce lieu de
tristesse, de journées si monotones j’arrivais toujours comme si j’avais
été la veille à l’opéra, c’était son expression. En parlant ainsi je ne
me glorifie point. C’est à lui que l’on doit rapporter cette disposition
constante dans le lieu d’exil. Je ne fais que rendre à César ce qui
appartient à César »…
Dans le « Cayer dit n° 2 supplément », sous la rubrique « Dissimu-
lation », Albine approfondit son appréciation du caractère de l’Em-
pereur. « J’ai toujours entendu dire qu’il faisait tout céder à ce qu’il
appellait sa politique : mais il sentait trop vivement pour que ses
passions ne le gouvernassent pas aussi et peut-être plus qu’un autre
homme »… Ainsi il crut qu’elle le boudait, un jour qu’elle prit congé
un peu brusquement, et dit à Montholon : « je blesse toujours sans
mauvaise intention. Il connaissait ce défaut de son caractère : mais
il n’a jamais pu s’en corriger quelqu’intérêt qu’il y ait eu parce qu’il
satisfaisait sa passion du moment en s’y laissant aller. C’est chez lui
de nature – et certes c’est bien l’opposé de la dissimulation. Cepen-
dant […] s’il pensait devoir dissimuler – il le faisait avec succès. Pour
moi j’ai toujours trouvé qu’il était très facile de juger quand il était
vrai ou non »… D’autres pages du « supplément » sont consacrées
aux jugements de l’Empereur sur Las Cases, le général BERTRAND
(« son lot était d’être inspecteur de génie […] il ne fallait pas le sortir
de là – je ne pouvais choisir un plus mauvais grand marechal »), le
valet MARCHAND (étrange perte d’un collier de diamants à la bataille
de Waterloo, mais « un honnête jeune homme »), Montholon
(« propre à remplacer Duroc auprès de lui », excellente mémoire,
précieux pour les recherches et la réécriture dans un français clair
et correct, d’autant plus qu’« il savait conserver la couleur de son
stile », etc.). Et encore un portrait physique et moral de Napoléon :
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