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Lettres & Manuscrits autographes

26 mai 2020

196

SAND George (1804-1876)

L.A.S. « G. Sand », Palaiseau 6 mars [1865,

au Docteur Pierre-Paul DARCHY] ; 4 pages in-8.

Belle lettre de conseils littéraires à son ami médecin

.

Elle a lu sa nouvelle : « C’est très bien. Il y a une idée très bien dévelop-

pée et suivie. Si le style avait le charme du sujet, ce serait

très

réussi :

sans être ni incorrect, ni négligé, ni mauvais, il n’a pas l’harmonie et

la fraîcheur que comporte le tableau. Appliquez-vous à acquérir cette

élégance qui ne se démontre pas, mais qui se sent, et qui n’est pas

précisément dans le mot, ni dans la coupe de la phrase, ni dans le

nombre musical, mais dans tout cela à la fois ».

Sa petite fable est « très bien faite et très jolie », mais rappelle trop « une

bluette de moi » parue dans la

Revue des deux mondes

[en septembre

1863,

Ce que dit le ruisseau

] : « C’est un bonhomme qui écoute ce

que dit un ruisseau et qui entend des paroles. Votre article semble

une réminiscence et un développement du mien. […] J’aime mieux ma

forme, mais j’aime mieux votre fond, il est plus clair et plus complet ».

Il faudrait en changer le début : « au lieu de trois petits garçons et

de la partie de pêche qui sont sans intérêt, au lieu de la prairie et du

ruisselet qui rappellent mon commencement, si vous pouviez partir de

quelque chose de très opposé comme tableau, d’une bouilloire sur le

feu dans un intérieur flamand ou d’une usine à vapeur, ou des esprits

d’une locomotive en voyage, ou de quelque chose de mieux que vous

trouveriez, mais plus positif et plus tranché qu’une rêverie au bord de

l’eau, rien ne vous empêcherait de vous placer vous-même dans une

situation d’esprit tout à fait fantastique, de suivre ces esprits aqueux dans

leur voyage, de les retrouver et de les reconnaître dans leur chute sous

la terre, de les ressaisir dans leur réunion au ruisseau et de reprendre

là le récit de l’orateur sur sa petite racine, car à partir de là je ne vois

rien que de bon et d’original »…

Correspondance

, XIX, n° 11507.

600 - 800 €

197

SAND George (1804-1876)

L.A.S. « G. Sand », Palaiseau 10 mai [1866, à Charles de CHILLY] ;

4 pages in-12 (rousseurs).

Recommandation d’un acteur au nouveau directeur de l’Odéon

.

« Cher Monsieur, vous voilà directeur de l’Odéon. Sans vouloir en

aucune façon attaquer votre prédécesseur [Charles de La Rounat],

je dis : Tant mieux que ce soit vous ! » Elle veut lui recommander le

jeune acteur Eugène CLERH (1838-1900, qui avait souvent joué sur le

théâtre de Nohant, et était entré, grâce à Sand, à l’Odéon où il joua

notamment dans

Le Marquis de Villemer

], un jeune artiste précieux

pour l’Odéon, un de ces talents modestes dont on a toujours besoin,

acceptant tous les rôles et les jouant avec soin et plaisir, donnant à

tous une bonne physionomie, tenant bien sa place dans le répertoire

et créant avec entrain et conscience les personnages, soit sérieux, soit

burlesques qu’on lui confie. En outre c’est un garçon des plus honnêtes,

un excellent pensionnaire, doux et bien élevé, toujours à son poste. Il

est aimé à l’Odéon, […] et je n’ai eu qu’à me louer de sa conduite et de

son travail. Ses appointements à l’Odéon étaient misérables », et elle

aimerait qu’on l’augmente…

Nouvelles lettres retrouvées

, n° 271.

400 - 500 €

198

SAND George (1804-1876)

L.A.S. « Ton vieux troubadour qui t’aime », Nohant 21 décembre [1867],

à ustave FLAUBERT ; 8 pages in-8 à son chiffre.

Magnifique et longue lettre à FLAUBERT

.

Sand évoque d’abord vigoureusement le discours de THIERS en faveur

du Pape et contre l’unité italienne [auquel Flaubert avait réagi : « Peut-

on voir un plus triomphant imbécile, un croûtard plus abject, un plus

étroniforme bourgeois ! »] : « Enfin ! voila donc quelqu’un qui pense

comme moi sur le compte de ce goujat politique. Ce ne pouvait être que

toi, ami de mon cœur.

Etroniformés

est le mot sublime qui classe cette

espèce de végétaux

merdoïdes

. J’ai des camarades et bons garçons

qui se prosternent devant tout symptôme d’opposition quelqu’il soit et

d’où qu’il vienne, et pour qui ce saltimbanque sans idées est un Dieu.

Ils ont pourtant la queue basse depuis ce discours à grand orchestre.

Ils commencent à trouver que c’est aller un peu loin, et peut-être est-

ce un bien que, pour conquérir la royauté parlementaire, le drôle ait

vidé son sac de chiffonnier, ses chats morts et ses trognons de chou

devant tout le monde. Cela instruira quelques uns. Oui, tu feras bien

de disséquer cette âme en baudruche et ce talent en toile d’araignée !

Malheureusement quand ton livre arrivera, il sera peut-être élagué et

point dangereux, car de tels hommes ne laissent rien après eux ; mais

peut-être aussi sera-t-il au pouvoir. On peut s’attendre à tout »...

Dans son prochain roman [

Mademoiselle Merquem

], elle exposera

une croyance qu’elle adopte pour son usage et qu’elle croit bonne

pour le plus grand nombre : « Je crois que l’artiste doit vivre dans sa

nature le plus possible. À celui qui aime la lutte, la guerre, à celui qui

aime les femmes, l’amour, au vieux qui, comme moi, aime la nature, le

voyage et les fleurs, les roches, les grands paysages, les enfans aussi,

la famille, tout ce qui émeut, tout ce qui combat l’anémie morale. Je

crois que l’art a besoin d’une palette toujours débordante de tons doux

ou violents suivant le sujet du tableau ; que l’artiste est un instrument

dont tout doit jouer avant qu’il ne joue des autres : mais tout cela n’est

peutêtre pas applicable à un esprit de ta sorte, qui a beaucoup acquis

et qui n’a plus qu’à digérer. Je n’insisterais que sur un point, c’est que

l’être physique est nécessaire à l’être moral et que je crains pour toi un

jour ou l’autre une détérioration de la santé qui te forcerait à suspendre

ton travail et à le laisser refroidir »...

Elle passera le Jour de l’An avec ses enfants. « Maurice est d’une gaîté

et d’une invention intarissables. Il a fait de son théâtre de marionnettes

une merveille de décors, d’effets, de trucs, et les pièces qu’on joue

dans cette ravissante boite sont inouies de fantastique. La dernière

s’appelle

1870

. On y voit

Isidore

avec Antonelli commandant les bri-

gands de la Calabre pour reconquerir son trône et rétablir la papauté.

Tout est à l’avenant ; à la fin la veuve

Ugénie

épouse le grand turc

seul souverain resté debout. Il est vrai que c’est un ancien

démoc

,

et on reconnaît qu’il n’est autre que le grand tombeur masqué »...

Elle parle longuement des représentations, qui durent jusqu’à 2 heures

du matin, suivies d’un souper... « Moi, je m’amuse à en être éreintée. [...]

il y a, dans ces improvisations une verve et un laissé-aller splendides,

et les personnages sculptés par Maurice ont l’air d’être vivants, d’une

vie burlesque, à la fois réelle et impossible, cela ressemble à un rêve »...

Puis Sand fait des portraits affectueux et animés de sa belle-fille Lina,

enceinte, et de sa petite-fille Aurore... « Mais comme je bavarde avec

toi ? Est-ce que tout ça t’amuse ? Je le voudrais, pour qu’une lettre de

causerie te remplaçat un de nos soupers que je regrette aussi, moi et

qui seraient si bons ici avec toi, si tu n’étais un cul de plomb qui ne

te laisses pas entraîner à la vie pour la vie. – Ah ! quand on est en

vacances, comme le travail, la logique, la raison semblent d’étranges

balançoires »... Elle évoque pour finir la « charmante » Juliette Lamber

[Juliette Adam] ; la neige et le froid : « nous ne sortons guères, mon

chien lui même ne veut pas aller pisser. Ce n’est pas le personnage le

moins épatant de la société. Quand on l’appelle Badinguet, il se couche

par terre honteux et désespéré, et boude toute la soirée ».

Correspondance

, XX, n° 13375.

1 500 - 2 000 €

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