Previous Page  49 / 116 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 49 / 116 Next Page
Page Background

47

Litterature

835

GARY ROMAIN 1914 1980

ENTRETIEN AVEC ROBERT KENNEDY.

Manuscrit autographe signé, 1968. 9 pages dont 7 in-folio

et 2 in-4 oblong.

5 000 / 7 000 €

Récit d’un entretien avec Robert Kennedy publié le lendemain de son

assassinat dans le

Figaro

du 6 juin 1968 sous le titre « Il y a quelques

jours, Bobby me disait : « Je sais qu’il y aura un attentat tôt ou tard » ».

Robert Kennedy avait accordé cet entretien à Romain Gary en mai

1968, à la suite de sa victoire à la primaire de Californie.

… « Il s’agissait pour moi essentiellement de savoir s’il était concevable

qu’un « Israël noir » composé de deux ou trois États du Sud pût un

jour apparaître comme une solution plausible du problème aux

États-Unis. Kennedy considérait cette hypothèse comme impensable

… Il m’avait déclaré : « Une telle éventualité constituerait un échec

impensable de l’idéal démocratique américain. » Kennedy venait

de sortir de l’océan, glacial en cette saison, et se tenait assis sur

la moquette, les jambes croisées, le torse nu, vêtu d’un bermuda-

short. Ma première question fut de demander au sénateur quelles

précautions il prenait contre un attentat éventuel. Il n’y a aucun moyen

de protéger un candidat pendant la campagne électorale. Il faut se

donner à la foule et à partir de là il faut compter sur la chance »

dit Kennedy. Il rit, secouant la mèche juvénile qui lui retombait

sans cesse sur le front. De toute façon, il faut avoir la chance avec

soi pour être élu président des Etats-Unis. On l’a ou on ne l’a pas.

Je sais qu’il y aura un attentat tôt ou tard. Pas seulement pour des

raisons politiques, par contagion, par émulation. Nous vivons une

époque d’extraordinaire contagion psychique. Parce qu’un type tue

Martin Luther King ici, un « contaminé » va immédiatement tenter

de tuer un leader des étudiants allemands. Il faudrait faire une étude

profonde de la traumatisation des individus par les masses médias,

avec un besoin d’évènements spectaculaires … Et il faut dire que

le vide spirituel est tel à l’Est comme à l’Ouest que l’évènement

dramatique, le happening est devenu un véritable besoin … Il y a

aussi la congestion démographique surtout dans les villes, les jeunes

se mettent à éclater littéralement. Les individus – nous voyons ça

dans nos ghettos noirs – sont à ce point comprimés ou opprimés

qu’ils ne peuvent plus se libérer que par l’explosion. J’en viens

même à me demander si l’éclatement dans la peinture avec Pollock

et l’action Painting ne finit pas par pousser à la violence, ceux des

jeunes qui n’ont pas d’autres moyens de s’exprimer … et puis il y

a eu Hemingway. J’aime beaucoup Hemingway comme écrivain,

mais il faut bien dire qu’il a été le fondateur d’un mythe ridicule et

dangereux, celui de l’arme à feu et de la beauté virile de l’acte de

tuer ... Il était absolument impossible d’obtenir du Congrès une loi

interdisant la vente libre des armes à feu » …

Romain Gary raconte ensuite comment l’entretien se poursuit sur

la situation politique en France et sur l’action du général de Gaulle

en qui Robert Kennedy dit voir la dernière grande figure historique

française : « à combien d’attentats au juste a-t-il échappé ? Cinq ou six

je crois.» Kennedy hocha la tête et se mit à rire : « je vous disais bien

la chance. On ne peut pas être président sans the good old luck … »