16. APOLLINAIRE (Guillaume). Lettre autographe signée
Gui
, contenant un
poème autographe
, à
Louise de Coligny-Châtillon (Lou), datée [Nîmes]
17 janvier dimanche 1915
, 4 pages sur 2 feuillets
grand in-4 sur papier à en-tête du Café Tortoni, écrites à l’encre brune recto-verso, sous chemise
demi-maroquin noir moderne.
18 000 / 25 000
€
B
ELLE LETTRE
,
CONTENANT
,
OUTRE UN POÈME
,
DES PASSAGES LIBRES
.
On peut la diviser en trois parties : nouvelles de la permission demandée par le soldat Apollinaire ; conseils
d'hygiène intime à Lou ; poème, où le spectacle de la guerre se trouve magnifié par l'amour que lui inspire sa
maîtresse lointaine. Quinze jours s'étaient écoulés depuis qu'à Nice, Apollinaire avait quitté Lou. Afin de
pouvoir la revoir, il venait de solliciter une nouvelle permission, qui lui sera accordée et lui permettra, du 23 au
25 janvier 1915, de la retrouver à Nice, dans les mêmes conditions. Ce sera hélas leur dernière rencontre
heureuse : Apollinaire ne reverra plus qu'une seule fois la jeune femme, à Marseille, le 28 mars, et sera
extrêmement déçu. Ils se croiseront fortuitement une dernière fois à Paris place de l’Opéra en 1917 ou 1918.
Il a obtenu sa permission : …
Je tâcherai de partir dans la nuit du vendredi pour arriver samedi à midi, sois
aux trois trains comme tu devais l'être l'autre fois, mais renseigne-toi des
[sic]
heures d'arrivées qui ont pu
changer, télégraphie pour savoir si c'est entendu, ou dans le cas où tu serais partie pour que je renonce à ma
permission.
Délicate allusion à "Toutou", autre amant de Lou, qui la réclame lui aussi :
Dans le cas où tu aurais
ta permission pr. Toutou, tâche de faire coïncider ma permission et ton passage à Marseille, où nous resterions
le temps de la permission…
Il demande aussi
des nouvelles de Toutou dans chaque lettre…
Puis il raconte sa
journée de la veille : promenades dans Nîmes avec un ami.
Sortis à huit heures, on a pris une douche, rasé
[sic],
on a été entendre la messe en musique à Saint-Paul, près du théâtre, ensuite bien déjeuné, entrecôte aux
pommes, roquefort, oranges de Baratier, 1 litre de vin du Gard… Le ciel était merveilleux, le dicton latin dit
du ciel de Nîmes qu'il est égyptien…
Il lui envoie un article d'Aurel [femme de lettres, cf n° 34 et 168] parlant
de lui, et lui demande aussi de répondre à ses lettres.
Il se lance ensuite dans un développement assez libre : …
Je voudrais que tu sois tellement à moi, que je n'aie
qu'à te bercer dans mes bras et te prendre et que je n'aie jamais à te fesser autrement que pour m'amuser et
t'exciter un peu, mais si tu continues à être désobéissante, il faudra que j'apporte un fouet de conducteur et tu
verras…
Ce qui semble surtout l'obséder, ce sont les habitudes solitaires de Lou, qu'il trouve dangereuses et
dont il parle très longuement :
Pour menotte de même, je veux que tu fasses des efforts pour t'y livrer plus
rarement. Tu comprends je ne te demande pas de renoncer à cette récréation, mais de ne pas t'y livrer tous les
soirs, car ainsi tu en abuses, tu t'abîmerais et je veux mon Lou aussi joli toujours que quand j'ai commencé de
l'adorer, je veux même qu'il embellisse sous ma domination. Pour cela je veux que sincèrement tu me dises,
c'est-à-dire m'écrives chaque fois que tu t'es fait menotte,
JE LE VEUX
… Il lui permet cependant de le faire
lorsqu'elle recevra cette lettre,
en pensant que je t'adore que je te désire, que je pense à la nudité exquise de
Salomé se branlant devant la tête coupée du Baptiste. Pense combien j'aime tes seins qui sont comme
d'exquises meringues sur lesquelles aurait neigé un coucher de soleil rose. Regarde tes belles fesses
tremblantes que j'ai fouettées avec délices et dont les palpitations me font tressaillir rien qu'à m'en souvenir.
Cette Suisse de ton corps est plus agréable et plus belle que toutes les Alpes avec le mont Blanc, le Righi et le
mont Rose. Regarde tes beaux yeux dont les regards se déroulent comme des câbles qui nous ont liés à
jamais…
…/…
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