18. APOLLINAIRE (Guillaume). Lettre autographe signée deux fois
Gui
, à Louise de Coligny-
Châtillon (Lou), datée
Nîmes le 30 mars 1915,
4 pages sur 2 feuillets in-12 et 2 pages sur un feuillet
in-4, sur papiers à en-tête de la Compagnie des Chemins de fer P.L.M. et du Café Tortoni (en tout
6 pages), écrites à l’encre brune recto-verso, sous chemise demi-maroquin noir moderne.
15 000 / 20 000
€
L
ONGUE ET INTÉRESSANTE LETTRE
.
Ecrivant le surlendemain de sa rupture avec Lou, à Marseille, Apollinaire s'excuse d'abord de sa lettre de la
veille,
dépitée, non railleuse.
Mais cette seconde lettre montre bien toute la distance qui sépare à présent les
deux anciens amants, même si le poète affiche une
tranquillité épatante et déclare : JE SAIS que tu
m'appartiens plus que tu ne crois peut-être et cela suffit à me rendre légères les peines qui sans cela seraient
les plus affreuses. Je sais que tu es un peu plus à moi que tu ne penses maintenant
…
A Marseille, ils ont fait un pacte et promis de s'écrire désormais avec la plus totale liberté : …
si tu veux être
véridique, je te dirai aussi tout ce qui m'arrivera. Mais faut aussi que tu sois vraie. D'ailleurs songe comme ça
peut être rigolo et vicieux, le cas échéant.
Pour le prouver - et exciter la jalousie de Lou ?, il lui raconte une
petite aventure qu'il vient d'avoir. Il a rencontré une jeune fille :
Elle était charmante, figure un peu fatiguée
comme je les aime, corps jeune. Nous avons parlé. Très libre, mais ça ne prouve rien… Souhaite l'amour.
Connaît tout.
Elle l'a emmené chez elle, présenté à ses parents, chez qui il pourra coucher les samedis !
Je ne
sais quelle aventure se prépare là. Ni de mon côté, ni de l'autre. Elle est très libre, mais ça ne prouve rien et
j'ai peu de temps à moi. Mais enfin je m'y attelle puisque j'ai ta permission… Nos promesses sont entières,
notre franchise doit être entière. Deux libertés qui s'aiment ne sont pas antagonistes… En tout cas ne crains
rien pour mon amour, qui est plus profond que jamais et plus éthéré, mon petit Lou.
Sur un autre papier, il rajoute ensuite deux pages, et lui annonce d'abord :
A partir de demain je t'enverrai des
lettres dont les parties qui ne seront pas intimes formeront un livre : Lettres à Lou ou bien Correspondance
avec l'ombre de mon amour
[
Ombre de mon amour,
jamais achevé et dont il n'écrira que deux lettres]
Je les
écrirai au recto des pages seulement afin qu'elles puissent être imprimées et la partie intime sera à toi la
plupart du temps. Je te les écris à toi, mais tu me les reprêteras pour l'impression et je te les rendrai ensuite.
Je t'enverrai chaque jour ce que j'en aurai écrit… Si c'est parfois décousu, je remanierai après la guerre. Enfin
tu es libre de lire ou ne pas lire. Ça t'est destiné, mais il ne s'y agira pas que de toi, mais aussi beaucoup de
moi et de bien d'autres choses…
Il a revu la jeune fille dont il parlait plus haut :
Elle n'a rien lu de moi. Mais
a entendu une conférence où l'on parlait beaucoup de moi. C'est une fille intelligente et cultivée.
Que Lou le
comprenne :
Certes, elle ne te vaut pas par cet esprit endiablé qui te distingue, mais comme nous sommes
séparés, ma chérie, c’est un excellent passetemps qui ne doit pas te gêner ni t’être désagréable en rien. Tu es
la déesse dans les nuages et on ne dort que rarement avec les déesses. Elle n'est qu'une mortelle, et à défaut
de déesse, les canonniers sensés tâchent de dormir avec les mortelles…
D'ailleurs, Lou n'a-t-elle pas son autre
amant, Toutou ? Mais il n'en est pas du tout jaloux :
Ecris à Toutou que je l'embrasse fort, que je l'admire plus
fort encore. Enfin qu'il me botte sur toute la ligne. … Enfin mon ptit Lou suis très content de toute l'aventure.
Et l'avenir qui se prépare pr. nous est charmant, pas de jalousie et nous amusant ensemble ou séparément
serons les plus heureux amants du monde si chacun de nous veut bien tenir ses promesses avec joie et même
avec passion et n'avoir pas un seul mensonge pour tromper l'autre. C'est la vraie fidélité, si tu veux t’y tenir
tu seras la femme la plus épatante qu’un poète ait jamais connue et une telle muse est capable de faire de celui
qu’elle aime à la façon que tu as promis le plus grand poète du monde…
Lettres à Lou
(éd. M. Décaudin), lettre n° 97.
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