ADER. Paris. Femmes de lettres et manuscrits autographes - page 193

189
F
IGURES
ET
VICTIMES
DE
LA
R
ÉVOLUTION
330.
Manon P
HLIPON
, Madame ROLAND
(1754-1793) l’égérie des Girondins ; femme (1780) de Jean-Marie Roland
de la Platière (1734-1793), elle fut guillotinée.
Lettre autographe signée « Phlipon », Paris 20 avril 1770, à Mademoiselle Sophie C
ANNET
« la cadette » à Amiens ;
2 pages et demie in-4, adresse avec cachet de cire rouge à son chiffre couronné de roses (brisé ; petite déchirure par
bris de cachet avec perte de quelques lettres).
2 000/2 500
T
RÈS
BELLE
LETTRE DE
JEUNESSE
,
INÉDITE
,
À
SEIZE ANS À
SON AMIE DE
PENSION
,
TOUTE
PREMIÈRE DES
LETTRES AUX DEMOISELLES
C
ANNET
(elle
ne figure pas dans les
Lettres en partie inédites de Madame Roland aux demoiselles Cannet
, H. Plon, 1867). Manon Phlipon avait fait
ses études avec les sœurs Sophie et Henriette Cannet au couvent des Dames de la Congrégation ; elle témoigne ici de son profond
attachement et de sa confiance en son amie Sophie.
« Tu as donc enfin ceder chere amie aux instances réitérés de ton cœur et ta paresse expirante sous les efforts de l’amitié a été
forcé de reconnoitre son empire et de se soumettre à ces lois. Ce triomphe lui est glorieux [...] mais que dis je, je me trompe, le
silence que nous scavons si bien garder est une preuve de lintime conviction ou nous sommes, lune et lautre de la verité de nos
sentimens et nous nen goutons pas moins les douceurs nos cœurs étroitement unis savent franchir d’un vol rapide lespace qui nous
sépare. [...] Jouissons ma chere amie du plaisir pur que nous cause une amitié si belle et nignore pas que les nœuds charmans qui
nous lient le font peutêtre plus etroitement encore que ne sçauroient faire ceux du sang. [...] à quel satisfaction peut on être plus
raisonnablement sensible quà celle que se procure deux cœurs qui n’en font qu’un. Si l’un a quelque peine elle est soulagée par la
part qu’en prend lautre si une douce joie se fait sentir elle augmente par celle quil trouve à la partager avec son fidel compagnon
quelle douceur que de se communiquer ses pensées sans reserve sans crainte sans inquiétude, tu m’as fait gouter ces agrémens
dans ta lettre par la confiance que tu mÿ temoigne et tu peut en attendre une pareille de ma part »... Elle évoque les fidèles
« sempressant de venir rendre à la majesté divine leurs prieres et leurs vœux […] peutêtre helas regretterons nous encore cette
sincerité et cette innocence qui sembloit faire le principal caractère des anciens tems, ou un amas de pierre ou de gazon etoient
les rustiques monumens que les mains innocentes de nos premiers peres elevoient à lêtre suprême […] Depuis que les mortels ont
elevé des temples à la divinité qui daigne reserrer son immensité dans leurs bornes étroites ÿ résider dune maniere admirable et
semble devoir par cette raison cÿ attirer un respect encore plus profond sa bonté même paroit donner plus d’hardiesse à loffenser
et l’on ne craint point d’aller dans son sanctuaire l’outrager d’une maniere qui doit faire honte aux humains. Ah que nous sommes
heureuses ma chere amie de pouvoir ainsi nous communiquer nos réflexions elles seroient trouvés bien ridicules par de certaines
personnes parce que nous regardons les choses d’une œil bien différent quelles »... Elle termine par des protestations d’amitié…
Vente 17 mai 1955
(Pierre Cornuau, n° 64).
331.
Manon P
HLIPON
, Madame ROLAND
(1754-1793) l’égérie des Girondins ; femme (1780) de Jean-Marie Roland de
la Platière (1734-1793), elle fut guillotinée.
Lettre autographe, 27 janvier 1780, à Mlle Sophie C
ANNET
, à Amiens ; 3 pages et demie in-4, adresse avec cachet de
cire rouge à son chiffre (brisé, petit trou par bris de cachet).
2 000/3 000
T
RÈS
BELLE
LETTRE
À
SON
AMIE
DE
JEUNESSE
,
ANNONÇANT
SON
MARIAGE
AVEC
R
OLAND
. [Manon Phlipon avait fait ses études avec
les sœurs Cannet au couvent de la Congrégation ; c’est par elles qu’elle fit la connaissance de Jean-Marie Roland de la Platière,
inspecteur des manufactures de Picardie, de vingt ans son aîné ; ils se marièrent le 4 février 1780.]
« Eh bien ! ma chère Sophie, sais-tu comme la scène du monde se change quelquefois avec rapidité ? Pourras-tu soutenir encore ta
foi en ma franchise contre les apparences ? […] Dois-je me flatter que le voile qui restera toujours sur le comment d’un événement
innattendu, ne diminuera rien à la confiance, ou même à l’estime sentie que tu avois pour moi ? » Elle espère qu’elle ne lui en
voudra pas, et ne l’accusera pas de dissimulation… Elle est restée « fidelle aux loix de l’Amitié […] La droiture de mon cœur ma
soutenue uniquement dans les épreuves terribles et au milieu des chagrins les plus violens. J’ai, à peu près, épuisé les douleurs.
Oppressée par elles et les dévorant en silence, j’étois enfin parvenue à ce terme de modération, et presque d’insensibilité ou l’on n’a
plus rien à craindre parce qu’on ne se sent rien à perdre à quoi l’on tienne fortement : un nouvel horizon se découvre, le bonheur
me sourit et ma situation change. Pénétrée intimement, sans être enyvrée, étourdie ; j’envisage ma destination d’un œil paisible et
attendri ; des devoirs touchans et multipliés vont remplir mon cœur et mes instans. Je ne serai plus cet être isolé, gémissant de son
inutilité, cherchant à déployer son activité d’une manière qui prévint les maux de la sensibilité aigrie. La sévère résignation, le fier
courage qui servent d’appui dans le malheur aux ames fortes qu’il éprouve, seront remplacés par la jouissance pure et modeste des
vrais biens du cœur. Femme chérie d’un homme que je respecte et que j’aime, je trouverai ma félicité dans le charme inexprimable
de contribuer à la sienne ; enfin, j’épouse M
r
R
OLAND
. Le contrat est passé, les publications se font dimanche, et avant le carême
je suis à lui. Je vais former cet engagement si saint à mes yeux et si doux lorsqu’une estime profonde suivie d’un sentiment plus
tendre encore fait de ses obligations autant de plaisirs. C’est ma disposition ; je te la peins avec franchise, persuadée que ton âme
honnête et vraiment attachée n’éprouvera que de la satisfaction malgré l’espèce de mécontentement de n’en avoir pas connu plus
tôt l’occasion. Il m’eût été difficile, même indépendament de toute considération particulière, de m’en ouvrir plus promptement.
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