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Les voisins dont me sépare la cloison font l’amour tous les jours

avec une frénésie dont je suis jaloux

245

PROUST (Marcel).

Lettre adressée à Jacques Porel.

Paris,

sans date

[peu après le 15 juillet 1919]

.

Lettre autographe signée “Marcel” ; 16 pages in-8.

Remarquable et longue lettre adressée à Jacques

Porel, à propos des bruyants ébats amoureux de

ses voisins et d’un article très sévère de Fernand

Vandérem sur

D

u

côté de

chez

S

wann

.

Jacques Porel était le fils de l’actrice Réjane, un des

modèles de la Berma, à qui l’écrivain sous-louait alors un

appartement 8bis rue Laurent Pichat : il y avait emménagé

le 31 mai 1919 et pensait en juillet le quitter : il ne devait

finalement déménager que le 1

er

octobre.

J’aurai quitté la rue Laurent Pichat quand vous reviendrez.

[…]

je regretterai les fleurs noir et blanc sur fond rouge. Mais je

les ai décrites

[dans

Le Côté de Guermantes

].

Il cherche un nouvel appartement ; Reynaldo Hahn lui en a signalé un, ainsi que la princesse Soutzo. Puis il

évoque avec beaucoup d’humour le “

boucan

” dont on se plaint, priant Jacques Porel de signifier à sa mère qu’il

n’a “

ni piano ni maîtresse

”.

Les voisins dont me sépare la cloison font d’autre part l’amour tous les 2 jours avec une frénésie dont je suis jaloux.

Quand je pense que pour moi cette sensation est plus faible que celle de boire un verre de bière fraîche, j’envie ces gens

qui peuvent pousser des cris tels que la 1re fois j’ai cru à un assassinat. Mais bien vite le cri de la femme repris une

octave plus bas par l’ homme, m’a rassuré sur ce qui se passait.

[...]

je serais désolé que Madame votre mère m’attribuât

tout ce boucan, qui doit être entendu jusqu’ à des distances aussi grandes que ce cri des baleines amoureuses que

Michelet montre dressées comme les deux tours de Notre-Dame.

[…]

Je vous prie réhabilitez-moi auprès de Madame

votre mère pour l’amour et pour le piano.

Je ne connais que l’asthme

. […]”

Fernand Vandérem a rédigé un article qui est “un tombereau d’excréments” sur la réédition

de

D

u

côté de

chez

S

wann

.

Vous avez sans doute lu l’article de Vandérem (normal n’est-ce pas) que la N.R.F. m’annonçait comme un bouquet

de fleurs et qui est un tombereau d’excréments. M. Paul Calmann n’emportera pas en paradis cette métamorphose.

Remarquez que je trouve tout naturel qu’on n’aime pas Swann (en particulier moi je ne l’aime pas). Mais Vandérem

(c’est là le comique) m’avait écrit, il y a quelques mois, exactement l’inverse jusque dans les mêmes termes. La lettre

de Vandérem n’était nullement une des lettres aimables que j’ai reçues sur Swann (connaissez-vous l’admirable de

Francis Jammes)

[...]

Mais enfin c’était miraculeusement les mêmes mots pour dire le contraire.

[…].

Je plains les

critiques.

(Kolb,

Correspondance de Marcel Proust,

XVIII, nº 178 : lettre reproduite partiellement d’après le catalogue

Berès nº 61.)

6 000 / 8 000