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PROUST (Marcel).

Lettre adressée à Marie de Régnier.

Paris, sans date

[vers 1907]

.

Lettre autographe signée “Marcel Proust”; 3 pages in-8.

Très belle lettre adressée à Marie de Régnier ; elle semble inédite.

J’ai lu seulement aujourd’ hui l’admirable lettre (parce qu’elle était adressée 52 bd H., je

demeure au 102). Elle m’a fait pleurer et comme je ne trouve pas de mots pour vous dire ce que

j’éprouve, je vous envoie des fleurs. Ce que vous avez dit du Temps présent qui va se déguiser

pour le mardi gras en avenir et en temps perdu et sur mon costume de ... est d’une telle beauté

que je suis aussi honteux de posséder cela pour moi seul, que devraient l’être les collectionneurs

qui ont dans leur galerie une œuvre d’une valeur universelle. Vraiment ce n’est pas parce

qu’il s’agit de moi, mais je ne crois pas que vous ayez jamais rien écrit de plus beau, ou plus

extraordinaire. J’ai l’éblouissement du personnage de Stevenson qui se trouvait tout d’un coup

avoir le diamant du Rajah. Si vous saviez comme je pense à vous, je peux dire constamment.

Toutes ces pensées dont je suis sursaturé, votre lettre si inattendue les a brusquement cristallisées,

je me suis senti étouffer et c’est cela qui m’a fait pleurer

[…].”

Lecteur fervent de Stevenson qu’il jugeait “génial”, Proust mentionne ses œuvres à de

nombreuses reprises à ses correspondants à partir de 1904 quand il dresse à sa mère la liste de

ses lectures, dont

Le Diamant du Rajah.

Que Marie de Régnier se soit trompée sur l’adresse exacte du romancier laisse penser qu’elle

lui a écrit peu après que Proust ait emménagé dans l’appartement de son oncle Louis Weil 102

boulevard Haussmann, c’est-à-dire le 27 décembre 1906.

Fille du poète José Maria de Heredia, Marie avait épousé Henri de Régnier en 1895, mais c’est

de son beau-frère Pierre Louÿs qu’elle eut un fils surnommé Tigre. Femme de lettres sous le

pseudonyme de Gérard d’Houville, Marie de Régnier (1875-1963) fut la muse des écrivains

de la Belle époque. Après l’élection de son père à l’Académie française en 1894, elle fonda

l’Académie canaque dont Marcel Proust fut le secrétaire perpétuel.

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