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Ses confidences dénotent une grande intimité avec sa correspondante :

M’avez-vous trouvé une femme ? Je vous pose cette question parce que je suis toujours sous

l’influence efficace de Saint Benoît. Oui, madame, jeûne complet, disette, famine

.

Et, ma foi,

tranquillité, grâce à Saint Benoit.

(

Cannes, sans date

[17 février 1884 cachet] ; 5 ½ pages in-12, enveloppe.)

Je vis comme une brute, délicieusement rôti par le soleil, déjà noir comme un arabe, et revassant

comme un vieux poëte.

[...]

Il fait ici une chaleur équatoriale. J’aime ça. Je désire une maison

d’Orient avec la mer sous les murs, des fontaines d’eau froide dans des cours de marbre, et des

femmes dans un harem. Oui, en ce pays, les femmes dans un harem sont nécessaires, car la grande

chaleur, vraiment pousse beaucoup aux sentiments.

(

Nice, sans date

 [mi-juin 1890]

;

6 pages in-12.)

Quant au chapitre ? – delassement sentimental – Eh bien. 0. 0. 0. 0. 0. 0. autant de zeros que de

jours. Je Bourgetise mon existence, ce qui me paralyse le cerveau

.”

(

Porto Fino, 13 sept 1889

(cachet postal) ; 12 pages in-12.)

Il s'impose néanmoins des garde-fous pour ne pas succomber aux charmes de sa confidente,

habile à rendre les hommes amoureux d'elle, sans pour autant les prendre pour amants :

Aucune femme ne m’a plu dès l’abord, comme vous.

[...]

J’étais

[...]

fort prévenu contre vous...

Je me suis d’autant plus méfié, d’autant plus roidi que je subissais terriblement votre charme. Je suis

sorti de chez vous, quelquefois, la tête en déroute et le cœur en détresse. Mais j’ai la faculté de me

dominer par le raisonnement poussé à son extrême puissance. Après de véritables défaites intérieures

je finissais toujours par me reprendre à vous. Je ne dis pas que je vous ai aimée. Je dis que j’ai été

atteint, comme d’autres, par votre pouvoir

...

(Sans lieu ni date [Paris, 11 mars 1889] ; 6 pages ½ petit in-12, en tête GM avec adresse à

Nice, enveloppe.)

Il évoque souvent des amis communs, comme, dans une lettre écrite depuis Antibes, le peintre

Gervex, “

que Mme Legrand porte de duc en duc et de Prince en Prince

 :

il

est en train de devenir

à l’insu de son hôtesse qui le croit ravi, un communard genre régicide, bien qu’on l’ait fait passer,

dans ce monde, pour un catholique pratiquant.

” (Vers le 13 février 1886).

On y découvre également un écrivain attiré par le surnaturel, collectionneur de fétiches – et

quels fétiches !

La chaussure d’une petite Chinoise morte d’amour pour un Français, une corde de pendu, deux

extrémités d’un homme trompé par sa femme et mort de chagrin. L’épouse coupable conserva le pied

et la corne de ce mari sensible et malheureux et les fit souder ensemble

.”

(Sans lieu ni date [Paris, début janvier 1884] ; 4 pages petit in-12, enveloppe.)

Puis, un homme en proie à des migraines, des “nevralgies de la tête (internes) abominables”,

des troubles oculaires, voire des accès de délire dont il est un observateur minutieux.

Ainsi cet extraordinaire récit d’une scène nocturne qui paraît tirée du

Horla

 :

Me voici, madame, plus halluciné que M

elle

Olga !

[...]

J’ai entendu le bruit toute la nuit. Un bruit

étrange vraiment, saccadé, inexplicable !

Insomnie, fièvre, rêves décevants, hallucinations trompeuses, tout.

Ce matin. Impossibilité de travail (pour laquelle je demande une indemnité) secousses nerveuses,

souvenirs, obsession – Dangers de la solitude – j’éprouve comme un tremblement de terre. Et le

bruit ! Oh ! Ce bruit me poursuit ! Je le connais, maintenant, ce bruit ! Il me ronfle dans les oreilles,

me serre les tempes, me pénètre dans les os !

[...]

Je demeure allongé sur mon divan, tantot sur le dos

pour penser à ma chronique qui ne vient pas, tantôt sur le nez pour penser au bruit. Si je restais,

même deux jours, je serais perdu. Je le sens. Je le sais. C’est à Charenton que vous me reverriez, avec

une camisole de force. Oh ! ce bruit ! Je pars ; il le faut. Je fuis. Je ne sais plus ce que je fais, ni où je

vais. Je perds le nord. Je vous envoie ci-joint la boussole qui me servait de tête (cela signifie que j’ai

perdu toute direction) Oh ! ce bruit ! Il me reste - ? -

O Banque ! Une image ! J’entends le bruit !

Excusez, Madame, ces aberrations.

Je crois que je suis possédé.

(Sans lieu ni date [Paris, mi-janvier 1884]. 2 pages petit in-12, enveloppe.)

Selon son habitude, Maupassant a orné ses lettres d’amusants croquis à la plume.

On y voit un pêcheur au bord d’une rivière, une grenouille s’agitant au bout de son hameçon,

Saint-Siméon le Stylite sur sa colonne, tendant les bras vers un autre personnage ; puis

détruisant la colonne de ses pieds…