Previous Page  86 / 240 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 86 / 240 Next Page
Page Background

86

les collections aristophil

588

FÉNELON François de Salignac de la Mothe

(1651-1715)

prélat et écrivain, archevêque de Cambrai [AF 1693, 34

e

 f].

L.A. (minute), [octobre ou novembre 1703, au duc de

BEAUVILLIERS] ; 4 pages in-4.

5 000 / 7 000 €

Importante lettre de conseils sur la conduite que le duc de Bour-

gogne doit tenir à la Cour à son retour de l’armée, et sur ses

rapports avec Madame de Maintenon

.

[Fénelon n’a cessé de s’intéresser à son ancien élève, Louis, duc

de BOURGOGNE (1682-1712), petit-fils de Louis XIV, et fils du Grand

Dauphin ; il donne ici des conseils (en 5 points numérotés) à l’ancien

gouverneur du duc, Paul duc de BEAUVILLIERS (1648-1714). Le duc

de Bourgogne va revenir de l’armée, où il s’est illustré le 6 septembre

à la prise de Brisach.]

« Je crois qu’il est capital que vous souteniez M. le D. de B. [Duc de

Bourgogne] afin qu’il ne retombe pas dans son premier état à son

retour. Il y a plusieurs choses à lui insinuer, mais doucement, et en

se proportionnant à ce que vous connoissez de son besoin.

1° Il faut tâcher de moderer sa passion pour Mad. la D. de B. [Duchesse

de Bourgogne, Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712) que le duc a

épousée le 7 décembre 1697] non en lui inspirant aucun refroidis-

sement, mais en lui représentant ce que D. [Dieu] demande dans

les amitiéz les plus legitimes, ce qui est necessaire pour sa santé,

son repos, sa reputation, enfin ce qui est le plus utile à la Princesse

même, qui est encore si jeune.

2° Il faudroit trouver un milieu, afin qu’il ne fit ni trop, ni peu chez

Mad. de M. [MAINTENON]. Il ne doit jamais lui montrer aucun eloi-

gnement. Il doit même lui marquer, quoi qu’elle puisse faire, une

attention et des égards par respect pour la confiance que le Roi a en

elle. Ainsi il est a propos qu’il aille chez elle de tems en tems d’une

manière honneste et pleine de consideration, sans paroitre changer.

Mais il ne convient pas qu’il y demeure oisif et resveur dans un coin

comme un enfant, ou comme un pauvre homme bizarre, qu’elle ne

daigne pas entretenir. Il ne doit pas choisir ce theatre la pour mon-

trer ses resveries, ses chagrins, ses humeurs. S’il veut avoir de telles

heures, il faut qu’il les aille cacher dans son cabinet. […] En un mot

il faut qu’il s’accoutume à quelque dignité, et qu’il y accoutume les

autres. Cette nouvelle scene est une crise pour prendre ce bon pli.

[…] Plus il montrera de force, d’égalité, et de raison, plus Mad. de M.

changera pour le bien traitter. Il deviendra le maître de sa femme ;

et tous les autres compteront avec lui. Sinon tout ce qu’il vient de

faire à l’armée se perdra dans l’antichambre de Mad. de M. et on

l’avilira de plus en plus.

3° Comme il s’est familiarisé à l’armée avec beaucoup de gens, toutes

les glaces sont rompues avec eux. Il n’a qu’à être avec ces mêmes

personnes à Versailles à peu prez comme à l’armée ». Mais il faut

veiller à proportionner ses manières selon les courtisans, et lui ouvrir

les yeux « sur les divers caracteres des gens, et sur les choses qui se

sont passées autrefois, ou qui se passent dans le monde, afin qu’il

ne tombe point en mauvaise compagnie, et que faisant grace à tout

le monde en gros, il sache faire justice au merite de chaque parti-

culier. Je suppose qu’il se reservera toujours des heures pour prier,

pour lire, pour s’instruire solidement de plus en plus sur les affaires.

4° Si Mad. de M. venoit a mourir, ou a languir d’une maniere qui

la mît hors des affaires, je crois que M. le D. de B. devroit sans

empressement accoutumer le Roi a lui, et se tenir a portée d’attirer

sa confiance, soit pour entrer dans le conseil, soit pour soulager un

homme âgé. Sa piété, sa modération, son respect, son esprit reservé

et secret pourront faciliter ce progrez dans des tems ou le Roi ne

sauroit ou reposer sa teste.

5° En ce cas vous ne devriez faire aucun pas marqué qui put donner

aucun soupcon d’empressement. Mais il faudroit vous tenir le plus

prez que vous pourriez avec un air simple, ouvert, et affectionné,

pour le mettre en état de vous donner sa confiance.

D. vous menera par la main, si vous ne reculez pas »...

INTERIEUR.indd 86

21/10/2019 16:25