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ACADÉMIE FRANÇAISE

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CONRART Valentin

(1603-1675) poète, philologue,

conseiller du Roi, c’est chez lui que se réunissait le groupe

de lettrés qui donna naissance à l’Académie Française,

dont il fut

membre fondateur

et le premier Secrétaire

perpétuel [AF 1634, 2

e

f].

L.A.S. « Conrart », Paris 23 mai 1655, à Constantin

HUYGENS 

; 4 pages in-8.

1 200 / 1 500 €

Très belle et longue lettre, revue de l’actualité littéraire du temps :

mort de Guez de Balzac,

la Pucelle

de Chapelain, Corneille livré

à la poésie religieuse, etc.

« Ma vie est devenuë si languissante que je ne suis presque jamais

en estat de rendre mes plus légitimes devoirs ». Des soucis de santé

l’ont empêché de répondre à Huygens, qu’il espérait voir à Paris ;

mais veut lui écrire avant d’aller passer l’été à la campagne. Il lui

rappelle « la promesse que vous m’avez faite d’obliger Monsieur

HEINSIUS le fils à nous donner quelque éloquente pleinte, sur la mort

de nostre eloquent M. de Balzac [Guez de BALZAC, 8 février 1654] ;

& de me faire part aussi de ce que les Muses vous auroyent inspiré,

sur ce triste, mais illustre sujet. J’ay attendu jusques icy l’effet de

vos promesses ; & il ne tient plus qu’à vous, que les regrets de nos

François ne consolent le Public de la perte d’un si grand homme.

Nos savans ont pris part à celle de tant de célèbres Personnages que

vostre Nation a faite depuis quelque temps, & depuis peu encore à

celle du fameux Heinsius, & du profond & exact Blondel, que vous

aviez eû de nous. Il faut un siècle pour produire des Hommes de ce

mérite, & un moment nous les ravit, & ensévelit avec eux ces tresors

d’érudition & d’eloquence, qui estoyent, pendant leur vie, la richesse

& l’ornement de la République des Lettres. Vos Provinces, qui ont

esté si abondantes en grans Génies, jusqu’à cette heure, commencent

à en estre fort stériles, & Dieu veüille que Bellonne n’y emporte pas

le dessus sur Minerve, & sur les Muses. Elles sont devenuës pour

nous, sinon muëttes, au moins paresseuses, & on ne leur voit plus

produire que de petits ouvrages incapables de leur fere mériter une

véritable gloire, & de passer jusqu’à la Postérité. Nous avons seulement

quelques auteurs, qui n’ont rien laissé abatre de leur courage, & qui

soutiennent encore l’honneur de nostre Langue avec beaucoup de

vigueur. Vous avez pû voir l’Alaric de M. de SCUDÉRY, qui parut au

jour l’année passée ; & vous pourrez voir bien-tost la Divine Pucelle

de M. CHAPELAIN, attenduë & desirée depuis si longtemps, & dont

il s’est, enfin, résolu de publier la moitié, pour contenter l’impatience

de ses amis, & de tous les Doctes. Pour M. de CORNEILLE, il s’est

jetté dans les compositions pieuses, & a laissé le soin du Théatre à

un de ses frères [Thomas]. Vous ne devez pas vous étonner s’il n’est

point soigneux de vous écrire, puis-qu’il n’écrit pas seulement à ses

amis d’icy, dont il n’est éloigné que de trente lieuës. Je ne le verray,

pourtant, jamais, que je ne luy face reproche de sa négligence, en

vostre endroit »… Il recommande pour finir « un de nos Libraires,

qui est honneste homme dans sa profession, & de mes amis. Il va

en Hollande pour des affaires qui regardent son commerce, & il

pourra peutestre y avoir besoin d’une protection aussi puissante

que la vostre »…

L’Académie française au fil des lettres

, p. 42-45.

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