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8

U

ne histoire

sans nom

 8. BARBEY D'AUREVILLY

(Jules). Manuscrit autographe. 1 p. in-folio à l'encre rouge et noire ; angles rognés.

800 / 1 000

Passage de son roman

une

histoire

sans

nom

, correspondant aux derniers mots du premier chapitre et au début du

deuxième chapitre. Soit les pages

21

-

27

de l'édition originale de l'ouvrage parue en

1882

à Paris chez Alphonse Lemerre.

Version présentant des variantes avec le texte définitif imprimé

: le manuscrit, d'abord établi à l'encre brun

clair, a été fort travaillé, portant deux séries de corrections, d'abord à l'encre rouge puis à l'encre brun foncé. L'état du

texte présente néanmoins encore un ordonnancement du récit différent de la version imprimée, qui serait par ailleurs

légèrement plus développée et recevrait encore corrections.

«

... La baronne de Ferjol n'était point de ce pays qu'elle n'aimait pas... Elle était née au loin. C'était une fille noble

de race normande qu'un mariage, qui avait été une folie d'inclination, avait jetée dans ce trou, comme elle disait

dédaigneusement en pensant aux horizons et aux riants paysages de son pays. Seulement, "ce trou", pour parler comme

elle, l'amour, pour elle, l'avait élargi et rempli de sa lumière. La baronne de Ferjol, en son nom, Mlle Jacqueline Marie

Louise d'Ollondes, s'était éprise du baron de Ferjol, capitaine au régiment de Provence, infanterie, dont le régiment dans

les dernières années du règne de Louis XVI, avait fait partie du camp d'observation, dressé sur la montagne de Rauville-

la-Place, à trois pas de la rivière de Douve et du dongeon de St-Sauveur-le-Vicomte, en prévision d'une descente des

Anglais qui menaçait alors le Cotentin...

Au dire de ma grand-mère qui était du temps de ce camp, le baron de Ferjol qui était fort beau dans son uniforme blanc

à parements, passepoil et collet bleu céleste (il était blond et les femmes prétendent que le bleu est le fard des blonds)

tourna la tête à Mlle d'Olondes, avec laquelle il avait dansé dans les meilleures maisons de Saint-Sauveur – petite ville

de noblesse et de haute bourgeoisie, où l'on dansait beaucoup à cette époque – et même la lui tourna si bien qu'elle se

laissa enlever par lui, cette grande fille qu'on disait fière...

Malheureusement, le baron mourut jeune... Il laissa sa femme dans cet abîme qu'avec son amour et sa présence il

avait agrandi et rempli pour elle, mais dont, après sa mort, les parois semblèrent se resserrer autour d'elle et jeter leur

ombre sur son cœur en deuil, comme un voile noir de plus... Elle resta pourtant courageusement dans cet abîme... Elle

ne remonta pas la pente escarpée de ces montagnes, pour ravoir plus de ciel sur la tête, quand elle n'en avait plus dans

le cœur. Malheureusement, elle se tapit dans son gouffre comme dans sa douleur de veuve. Elle avait bien pensé, un

moment, à retourner en Normandie, mais l'idée de son enlèvement et du mépris qu'elle retrouverait là peut-être, l'en

empêcha. Elle ne voulut pas se blesser aux vitres qu'elle avait cassées. Son âme altière craignait le mépris. Et d'ailleurs,

positive comme sa race, elle se préoccupait assez peu de la poésie des choses

[extérieures] »

Jules Barbey d'Aurevilly a dessiné en tête une flèche empennée, à l'encre brun clair), et deux cartes à jouer, l'as de trèfle

et l'as de cœur, à l'encre noire et rouge.

Jules Barbey d'Aurevilly,

Œuvres romanesques

, Paris, Gallimard (Nrf, Pléiade), t. II,

1991

, pp.

274

-

276

.