13
D
ans aucun
cas
je ne
conduirai
l
'
orchestre
,
pour deux raisons
:
1
°
monsieur
L
ittolf
est un
chef d
'
orchestre admirable
et
je
suis un
chef d
'
orchestre de
carton
.
2
° J'
ai horreur des
exhibitions
.
J
e
ne
propose
pas ma
symphonie
, parce que Pasdeloup me propose de la jouer.... Puisque c'est lui qui a commencé, il est
juste que je le laisse continuer
[en fait le chef d'orchestre Jules Pasdeloup ne la jouerait pas].
E
ssayez
donc
de
faire
reprendre
La Jolie fille
à
B
ruxelles
.
À propos de
La Jeune fille
, si vous vouliez m'aider, nous
pourrions peut-être... Nous en causerons. Votre ami...
Envoyez-moi vite ma symphonie, vous seriez bien gentil.
»
« N'
accordez
pas
trop d
'
importance à
l
'
opinion des musiciens
,
même
lorsqu
'
il
s
'
agit des meilleurs
... »
19. BIZET
(Georges). Lettre autographe signée [à l'éditeur musical Antoine de Choudens]. S.l.n.d. 4 pp. in-8.
1 200 / 1 500
«
Mon cher ami, je viens de causer avec votre fils et je m'aperçois que j'ai été idiot, samedi. Je vous en exprime tous mes
regrets, mais ramenons les choses à leur véritable proportion, et pas de malentendu.
1
° Et d'abord, mon opinion ne vaut que ce que vaut toute opinion individuelle, c'est-à-dire peu de chose. Je le prouve :
Berlioz
et
Reyer
sont de grands musiciens
,
or
Berlioz
trouve
la musique de
Wagner
abominable
,
Reyer
la
trouve
splendide
– il est bien évident que l'un des deux se trompe complètement. Je ne suis encore ni Reyer ni Berlioz et je puis
me tromper.
2
° En admettant que je ne me trompe pas au point de vue artistique, il y a mille chances pour que le public ne soit pas de
mon avis. Je le prouve :
j
'
admire
Les Troyens
[opéra d'Hector Berlioz]
,
le public ne
les aime pas
. J'adore
La Statue [opéra
d'Ernest Reyer],
le public est tiède. Pour moi,
Sapho [opéra de Charles Gounod]
est un immortel chef-d'œuvre, le public
n'y est pas venu. Enfin, si j'avais le même goût que le public, je n'aurais pas fait nos pauvre
Pêcheurs de crevettes [son
propre opéra
Les Pêcheurs de perles
]
, opéra qui a été, s'il faut, hélas, l'avouer, peu du goût du public.
Requiescat in pace.
3
°
je n
'
ai
jamais
porté de
jugement
sur un opéra que
je
connais
pas
et qui
peut
être
excellent
.
Sur
8
ou
9
morceaux que
je connais,
3
, à mon avis, sont admirables,
3
ou
4
insignifiants, le reste pas bien (vous voyez que je n'atténue pas mon
1
er
jugement), mais qu'est-ce que cela prouve contre les chances de succès ? Absolument rien.
4
ou
5
beaux morceaux
,
il
n
'
en
faut
pas
tant
pour un grand
succès
,
parbleu
!
Nous le voyons tous les jours.
Ne pensez donc plus à mon étourderie. Lorsque je cause avec vous, je me rappelle bien que je parle à un ami, à un artiste
(car vous avec le sens artistique excellent, et vous êtes peut-être mieux placé que moi, musicien de profession, pour juger
certaines choses), et j'oublie souvent que je m'adresse à l'éditeur. Or, ce sera un grand succès, je le désire avec toute
l'ardeur que j'apporte lorsqu'il s'agit de vous et de votre excellente famille. Pas d'énervement, et faites activer. Voilà qui
est plus important que mon opinion. Une fois pour toute,
n
'
accordez pas trop d
'
importance à l
'
opinion des musiciens
,
même
lorsqu
'
il
s
'
agit des meilleurs
–
on a
la main à
la pâte
,
on voit à un certain point de vue
,
on
juge à travers un parti pris
sans
s
'
en
apercevoir
,
et
l
'
on
se
fourre
le doigt dans
l
'
œil
.
C'est peut-être ce qui m'arrive. Je vous le répète, mon opinion n'a
qu'un mérite, la sincérité. Mais si cela ne doit pas vous inquiéter, vous ne devez pas non plus m'en garder rancune. J'ai été
franc avec vous, ce n'est pas votre rôle de me le reprocher. Je n'ai pas besoin de vous dire que cette lettre est confidentielle,
non pas que je ne sois pas prêt à soutenir mes convictions, mais... Du reste, avec vous inutile d'insister sur ce point.
Au café – mauvaise plume – gribouillage inutile, mais dicté par un bon sentiment que vous savez apprécier. Votre ami
sincère et dévoué...
»
« J
e
suis un
chef d
'
orchestre de
carton
... »
18. BIZET
(Georges). Lettre autographe signée [à l'éditeur musical Antoine de Choudens]. S.l., [juillet 1869]. 3 pp.
in-8.
1 200 / 1 500
«
Mon cher ami, il y a une heure que je sais toutes les inquiétudes, toutes les craintes qui vous ont assailli la semaine
dernière. Croyez, mon cher ami, que, si j'avais été informé de votre chagrin, j'en aurais... pris une bonne part. Enfin,
grâce au Ciel, il n'y a dans tout cela qu'une espérance déçue... et tout peut se réparer.
Il me serait agréable qu'on exécutat quelque chose de moi aux concerts de l'Opéra.
Malheureusement, je
ne puis faire aucune démarche auprès de M. Littolf
[le compositeur et chef d'orchestre Henry Litolff, qui organisait une
série de concerts symphoniques à l'Opéra de Paris]
qui me refuse la politesse la plus élémentaire,
le salut.
Voulez-vous
lui parler ? Il refusera certainment, mais, si par impossible, il accueille favorablement ma demande,
proposez
-
lui
le
prélude
et
l'air de ballet de La Jolie fille
[son opéra
La Jolie fille de Perth
]
. Le
prélude
est une chose absolument
symphonique qui regagnerait au concert tout ce qu'elle perdrait au théâtre.