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Un joyau des fastes du Second Empire
. Arrivé au pouvoir par un coup d'État, Napoléon III était désireux d'asseoir sa
légitimité et d'affirmer la grandeur de son régime : il marqua donc un vif intérêt politique pour la photographie, technique
en grande vogue qui permettait une production en série à frais et délais bien moindres que la gravure jusque là employée.
Il soutint alors un programme de commandes publiques pour la réalisation de grands albums de photographies destinés
à magnifier son règne : ces albums furent consacrés aux grands travaux (chemins de fer français, réunion des Tuileries
au Louvre), au trésors patrimoniaux (château de Versailles, palais de L'Élysée, monuments de Rouen), aux campagnes
militaires (guerre de Crimée), aux voyages officiels (Haute-Savoie), aux fêtes de la Cour, aux expositions universelles
ou encore aux missions scientifiques à l'étranger (Mexique, Russie, Égypte). Les pouvoirs publics s'adressèrent à de
véritables artistes, comme Charles Nègre, Édouard Baldus, ou Gustave Le Gray pour les présents
Souvenirs du camp de
Châlons
(
Des photographes
, n°
107
). « Au-delà de leur beauté intemporelle ou de leur perfection technique, [ces œuvres]
témoignent qu'une certitude partagée a alors rapproché les photographes et le pouvoir : la foi dans la valeur de témoignage
et dans la puissance de conviction propres à l'image photographique » (Sylvie Aubenas, dans
Des photographes
, p.
18
).
Le camp de Châlons, haut lieu de la « fête impériale » et « élément important de la propagande menée
en faveur de la dynastie
» (Gérard Bieuville, dans
Une visite
, p.
24
). Voulant remédier aux carences apparues
dans l'organisation de l'armée française pendant la guerre de Crimée, Napoléon III fit organiser un camp militaire
en Champagne, près de Châlons, destiné à l'entraînement des troupes et à des recherches en matière d'armement.
L'inauguration eut lieu en grande pompe le
30
août
1857
en présence du couple impérial, et comprit des manœuvres
de la Garde impériale jusqu'en octobre. De semblables parades auraient ensuite lieu tous les ans en été et à l'occasion
de visites de personnalités civiles et militaires françaises et étrangères, mais aucune n'aurait le faste particulier de ces
cérémonies et manœuvres inaugurales.
Les
S
ouvenirs
du
camp
de
C
hâlons
de Le Gray, gratification offerte aux personnalités militaires ayant
participe aux cérémonies et manœuvres.
L'album des
Souvenirs du camp de Châlons
a probablement été
commandé sur la cassette personnelle de l'empereur. Appelé à réaliser un reportage, Gustave Le Gray, alors au sommet
de sa célébrité, fut logé plus d'un mois au camp de Châlons, en compagnie du peintre Bénédict Masson, et prit des vues
et portraits qu'il assembla en un volume produit vraisemblablement à environ
25
exemplaires, c'est-à-dire pour chacune
des personnalités militaires portraiturées pour l'occasion. Il n'en a été retrouvé qu'un peu moins de vingt exemplaires,
dont près de la moitié actuellement conservée en dépôts publics et deux démembrés dispersés : il s'agit des albums
Camou, Cassaignolles, Castelnau, Cetty, Decaen, Eggs, Larrey, Lepic, Montebello (Lannes), Morand, Morris, Manèque,
Mellinet, Reille, Roubaud, Toulongeon, Verly et le présent albumWimpffen.
Alors général d'infanterie dans la garde impériale, Emmanuel-Félix de Wimpffen
(
1811
-
1884
) était issu
d'une famille de haute noblesse d'Ancien Régime. Petit-fils d'un général de la Révolution et de l'Empire et fils d'un
colonel de l'Empire, il embrassa lui-même la carrière militaire et entra à Saint-Cyr. Il servit à quatre reprises en Algérie
entre
1834
et
1870
(en tout seize année), et participa à la campagne de Crimée où il fut fait général de brigade (
1855
).
De
1856
à
1859
, époque du présent album, il commanda la
2
e
brigade de la
1
re
division de la Garde impériale, puis, devenu
divisionnaire, combattit dans la campagne d'Italie où il fut blessé à Magenta (
1859
). En
1870
, il fut placé à la tête du
5
e
corps d'armée puis commanda l'armée de Châlons, mais fut fait prisonnier le
2
septembre. Il prit ensuite sa retraite.
Un monument de l'« age d'or de la photographie
». Gustave Le Gray a su exploiter les qualités du procédé au
collodion humide sur négatif verre, qui allie richesse des détails et douceur du grain, permettant en outre des tirages de
très grand format. Portant un regard d'artiste sur son sujet, il a su accorder aussi de l'importance aux éléments naturels
– arbres au vent, brume matinale –, d'où un « mélange de rigueur militaire et de poésie qui caractérise l'ensemble
des vues du camp » (Sylvie Aubenas, dans
Des photographes
, p.
150
). Il faut souligner également l'audace de son
panorama en six clichés, un des premiers exemples, dans sa production, de ce système qu'il réutiliserait pour des marines.
« La vue d'ensemble du camp en six planches, par la perfection des raccords, est un tour de force technique au service de
la démonstration de la puissance militaire française après la guerre de Crimée : Napoléon III, qui en fut particulièrement
satisfait, ne s'y trompa pas. L'art et la difficulté de juxtaposer ces images, soulignons-le, ne résident pas dans le seul
cadrage, mais bien aussi dans la maîtrise des mouvements, de l'éclairage, des contre-jours, etc. » (Joachim Bonnemaison,
dans
Gustave Le Gray
, p.
275
). Quant aux portraits, ils sont composés dans le style novateur lancé par Gustave Le Gray,
c'est-à-dire détourés et légèrement ombrés sur fond blanc dans un format ovale – ici tirés sur papier rectangulaire.
L'anecdote impersonnelle des décors de studio est évacuée pour produir un effet plus dramatique recentré sur le modèle.
L'exemplaire Wimpffen, un des « grands albums », comportant
51
photographies
, soit
11
portraits et
40
scènes et
vues (dont
2
d'après des peintures de Bénédict Masson). Les albums connus renferment d'une vingtaine à une soixantaine
de photographies, « selon un ordre et un choix variables – aucun album n'est semblable et aucun ne contient l'ensemble »
(Sylvie Aubenas, dans
Gustave Le Gray
, p.
135
).
Durant le long mois qu'il passa au camp de Châlons, Gustave Le Gray prit en effet plus de photographies qu'il n'en
figure dans les albums : « le grand nombre de vues isolées que l'on conserve dans les collections publiques ou privées [...]
indique que Le Gray eut aussi l'autorisation de commercialiser des vues pour son propre compte, celles qui avaient été
retenues pour composer les albums mais aussi d'autres qui n'existent qu'en planches isolées » (Sylvie Aubenas,
ibid
.).
Il existe de « grands albums » avec portraits et vues, et de « petits albums » avec vues seules, sachant qu'une base de
27
vues est commune à la plupart des exemplaires. On observe qu'« il existe une hiérarchie dans l'importance des albums
qui correspond très exactement à la hiérarchie de l'état-major du camp » (Florence Le Corre, dans
Une Visite
, p.
136
).
Par ailleurs, les variations dans le contenu des albums « laissent penser aussi que chacun des bénéficiaires de l'impérial
présent eut son mot à dire sur la composition de son exemplaire » (Sylvie Aubenas, dans
Gustave Le Gray
, p.
135
).
Plusieurs mentions autographes du général de Wimpffen, au crayon au verso de
3
feuillets, le confirment ici : «
ajouter
3
feuilles blanches
» (f.
3
v°), «
placer une f. pour le g
al
Clerc
[sic] » (f.
7
v°), «
placer deux feuilles,
1
pour le g
al
Cassaignole,
1
pour le colonel Pajol
» (f.
11
v°).