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24 qu’on assigne maintenant pour l’incendie de Paris; ce qui n’empêche

pas la ville d’être tout aussi gaie qu’à l’ordinaire »… C’est l’époque où

se préparent les premières élections présidentielles, avec Cavaignac,

Louis-Napoléon Bonaparte et Lamartine comme candidats. Les débats

traversent cette correspondance. Le père est pour Cavaignac, le fils

pour Napoléon : « Papa doit être plus Cavaignaciste que jamais, après

son triomphe d’avant-hier. Pour moi, cela n’a aucunement changé ma

manière de voir. Il a fort bien débité un discours préparé par d’autres, il

a profité du fâcheux emportement de ses adversaires, et, en somme, il

s’est peu disculpé des condamnations portées contre lui; de sorte que :

Vive Louis Bonaparte ! »… Mais c’est un peu un jeu entre eux, et Jules

considère cette agitation avec détachement : « enragés Cavaignacistes

de Nantais. Mais Cavaignac est admirablement coulé à Paris, tous les

journaux se rallient à Napoléon ! On ne sait s’il y aura du trouble. En

tout cas je ne m’en mêle pas »… Ou encore : « Pour qui prendre parti ?

Qui représentera le parti de l’ordre ? Sous quel drapeau se ranger ? La

garde nationale, la mobile, l’armée ? Tout sera divisé ! Qu’arrivera-t-il ?

On ne sait vraiment pas ce que cela va devenir ! Quant à moi, cric,

crac, je ferme ma porte, et je reste chez moi à travailler, pourvu qu’on

ne me tracasse pas, qu’ils se débrouillent comme ils voudront »…

La littérature

. Jules confesse : « Je suis dans le plus affreux dénue-

ment de livres de littérature, et j’ai des crispations nerveuses quand

je passe devant la boutique d’un libraire ! Je ne puis me passer de

livres, c’est impossible ! je les paierai plutôt sur les fonds de caisse

d’épargne ! »… Il fait l’acquisition des œuvres complètes de Shakespeare

et rêve devant « un Walter Scott complet et bien relié 32 volumes pour

60 francs ! Un Scribe complet relié 24 volumes pour 50 francs ! »…

La vie à Paris est pour lui l’occasion de se plonger dans la littérature

en train de se faire : « C’est vraiment un plaisir par trop incompris à

Nantes que celui d’être au courant de la littérature, de s’occuper de la

tournure qu’elle prend, de voir les différentes phases par où elle passe

sans cesse ballottée de Shakespeare à Racine, de Scribe à Clerville !

Il y a des études profondes à faire sur le genre présent et surtout sur

le genre à venir »… Son dieu d’alors est Victor Hugo, qu’il va écouter à

la Chambre, ce qui nous vaut cette anecdote cocasse : « Victor Hugo

que je voulais voir à tout prix a parlé pendant une demi-heure. Je le

connais maintenant. Pour le voir à sa place, j’ai écrasé une dame et

arraché la lorgnette des mains d’un inconnu. Cela a dû être mentionné

au Moniteur ! »… Il cherche tous les moyens de lui être présenté, par

l’intermédiaire de son oncle Châteaubourg, puis d’un ami journaliste :

« Ami de Victor Hugo, ce Mr me le présentera, dès que Mme V. Hugo

qui déménage en ce moment (car il paraît que les poètes, et femmes

de poètes sont sujets à des tracas pareils) pourra recevoir »… Il com-

mence à fréquenter les salons, en particulier celui de Mme Barrère,

une amie de sa famille, dont il laisse cette description éblouie : « Ayant

beaucoup lu, beaucoup voyagé, beaucoup vu, ses paroles et ses idées

sont naturellement revêtues d’un certain charme ! Alors les pensées

viennent d’elles-mêmes, et c’est infiniment plus commode que lorsqu’il

faut les inventer. Je passe quelquefois des heures dans mes visites, et

la conversation, loin de languir, se continuerait indéfiniment »… On voit

le jeune provincial encore inexpérimenté faire ses premiers pas dans

la société parisienne : « Je n’ai pas encore été revoir Mme de Barrère

dont je tai parlé. C’est un bonheur qui m’arrivera prochainement. J’ai

dîné chez Mme Arnous avec mes oncles et la famille Garnier, qui m’a

demandé à me conduire dans plusieurs soirées. J’ai accepté mais

je pense que je n’irai pas. Là je ne connaitrais personne : de sorte

que c’est fort couteux et fort ennuyeux »… Mais il n’est pas dupe des

apparences du monde : « Quant à la société de Mme de Barrère, cher

papa, quant aux réceptions des auteurs dramatiques, sois tranquille,

je sais ce qu’il y a à prendre et à laisser »…

15 000 - 20 000 €

TB

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Livres & Manuscrits

20 février 2020