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LACORDAIRE Henri-Dominique (1802-1861).
L.A.S., Aisey-le-Duc 18 octobre 1838, à Hercule de SERRE
à Boulogne près Paris; 3 pages in-4, adresse.
Belle et longue lettre sur Dieu, l’amour et le mal
.
« Tu supposes toujours que c’est Dieu qui a fait le monde comme il
est, et je t’assure qu’il y est pour très peu de chose. Le mal est enfant
de l’homme, parce que l’homme s’est préféré à Dieu. Si Dieu lui avait
donné la liberté du choix, c’est parce que la liberté du choix est essen-
tiel à l’acte d’amour, et que l’acte d’amour est la félicité souveraine. Un
amour nécessité est doux à
celui qui aime
, mais non à
celui qui est
aimé
; pour que l’acte d’amour soit réciproque, il doit renfermer deux
mouvements : le
mouvement d’étreinte
et le
mouvement de dévouement
.
[…] La liberté est donc nécessaire à l’amour, c’est-à-dire à la félicité.
Il est vrai qu’un jour l’homme
aimera Dieu sans plus subir le balancement fatal qui le tourmente
aujourd’hui; mais cet amour du paradis, cet amour d’étreinte infinie,
ne sera que la continuation de l’amour de choix que nous aurons
commencé sur la terre. C’est pourquoi Jésus-Christ, qui
n’a été immolé
qu’une fois
, est prêtre éternellement, éternellement victime, parce
que l’acte d’amour qu’il accomplit éternellement dans le ciel est la
continuation de celui qu’il avait dans le cœur sur la croix. L’homme est
donc libre pour aimer par choix; il a mal choisi, et le mal a été la suite
de cette élection fausse. Mais, ô merveille vraiment divine ! le mal né
du mauvais choix de l’homme, né de son indifférence pour Dieu, en
devenant une occasion de sacrifice et de pénitence, est devenu une
source inépuisable d’amour »... Etc.
On joint
2 autres L.A.S. :
Rome 22 mai 1836
, à M. Miller, donnant son
adresse à Rome;
Paris 1
er
décembre 1843
, envoyant à H. de Serre un
billet pour Notre-Dame.
500 - 700 €
TB
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LAFORGUE Jules. (1860-1887).
L.A.S. à Théodore Lindenlaub. S.l.n.d. (Berlin, début mai 1866).
8 pp. sur bi-feuillets in-8.
Très belle lettre de Laforgue qui veut mettre un terme à son séjour à
Berlin, où il occupait le poste de lecteur de l’Impératrice Augusta depuis
1881;il fait part auprès de son ami Lindenbaum, journaliste et pianiste
émérite, de son dégoût de la capitale allemande après y avoir résidé
pendant cinq ans, et de ses projets de vie à Paris. (…) Ma vie à Berlin,
toujours la même (…) Il parle de ses visites et de son emploi du temps
cet hiver, son dernier à Berlin;Je suis décidé à la grande rupture cette
fois-ci (…) C’est décidé, archi-décidé. Je vais commencer à expédier
mes livres et mes bibelots chez [Gustave] Kahn. J’en ai assez. La
perspective de repasser un autre hiver ici, entre l’Oberwaldstrasse,
Renz, Bauer, et la Brandburgerthor et le Schutzmann devant ma fenêtre
et les menues carrioles attelées de roquets faméliques, et le corps de
garde en face, et toutes ces têtes de valets à favoris et guêtres café
au lait, etc., etc...., cette perspective me pousserait des fois à m’en
aller chez les Mormons ou à me faire châtrer pour la Sixtine. C’est mon
dernier hiver (…). Il imagine sa vie de retour à Paris : J’arriverai à Paris,
je louerai un vague atelier, très haut, un de ceux dont les peintres ne
veulent plus. J’aurai 2 000 frs, je suis nippé ultra, j’ai du linge. J’achèterai
des draps et un lit canapé, une vaste table, etc... quelques ustensiles
de cuisine (je me ferai moi-même mes œufs, mon riz, mon café, mes
3 ou 4 légumes, ce qui avec du Liebig et des olives doit constituer
l’alimentation d’un sire de ma trempe). Et je vivrai ainsi, ingénument.
J’apporte à Vanier un volume de vers « Incidents de la vérité sur mon
cas », (que je lui paierai 100 frs) sur lequel (très clair et très catéchiste
sérieusement) je compte. Et un roman en faveur du mariage (avec
pivot le charme de la légitimité) etc..., etc... Si tous ces beaux projets
échouent, plutôt croupir typographe dans un sous-sol que de passer
un autre hiver ici. Cinq ans en face des mêmes têtes, c’est trop pour
un homme qui n’est pas toujours très sûr d’avoir la sienne (…). Et il
conclut sur cette pensée : Vanité, vanité, tout n’est que vanité ! ou plutôt
(allons, en chœur, hommes et femmes, une, deux) célibat, célibat, tout
n’est que célibat (…).
1 000 - 1 200 €
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