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littérature

Saint-Tropez… Mais c’est un faux départ : mer déchaînée, moteur en

panne, navigation hasardeuse ; c’est l’aventure : « J’ai retrouvé l’en-

fance qui n’a rien à voir avec la jeunesse, son âge ingrat et ses troubles,

son fol orgueil. Enfant je confondais

ingénieur

et

ingénieux

. Je vou-

lais devenir

ingénieux

. N’était-ce pas devenir poète ? J’ai retrouvé

l’enfance et ses inventions cocasses et les sommeils de plante et les

réveils rapides qui apportent de la fièvre et de l’énigme » ... Refusant

le pittoresque et le « nouveau », Cocteau fait de

la poésie de repor-

tage

… –

La tristesse d’Olympio

: évocation nostalgique des vacances

avec Raymond Radiguet à Pramousquier et au Lavandou… – Arrivée

à Port-Cros, « l’île qui bout », dans le vacarme des cigales, et où ils

sont reçus dans un manoir romanesque. –

De surprise en surprise

:

long passage supprimé sur la rencontre à Porquerolles du « patron »

de

Paris-Soir

, Jean Prouvost, « un homme jeune qui est un jeune

homme parce qu’il aime la mer comme nous, soigne ses pointus,

pareils au nôtre, et couche de calanque en calanque », et qui fait

rectifier d’un coup de téléphone le titre du reportage annoncé comme

Retrouvons notre jeunesse

, le contraire de

Retrouvons notre enfance

Hommage ému au pays Moco et à ses collines embaumées ; arrivée

à Saint-Mandrier, rencontre de Kisling en train de peindre le port.

Dîner à Toulon avec Jean Desbordes, « stupéfait par mes aptitudes

maritimes », et retour nocturne à Saint-Mandrier : le

Lancelot

est

défoncé par une vedette de la marine, et le retour s’achève à la rame...

Le lendemain de leur arrivée à Toulon, cette ville faite pour la flânerie

devient le théâtre d’émeutes contre les décrets-lois : « je me mêle à

l’émeute et, sauf quelques points sensibles, je la trouve plus gesticulée,

criée, que méchante. [...] Nous avons un peu honte de notre chance,

de notre vie sans nouvelles et sans contraintes, sur une barque où

la T.S.F. ne fonctionne pas » ... –

La preuve est faite

: « Un fil court à

travers ces articles et c’est leur excuse. Il s’agissait de prouver plusieurs

choses » ... 1° Il ne suffit pas de soigner son extérieur : il ne faut négliger

« la nuit qui nous habite et qui, comme la mer, cache des monstres

et des luttes inconnues ». Il faut jeter le bric-à-brac qui tient lieu de

l’âme par dessus bord. « En ce qui me concerne il s’agissait de briser

d’un seul coup, le rythme d’une longue période » ... 2° Leur escapade

reste unique en son genre, et Cocteau dénonce les obstacles posés

par l’administration pour prendre la mer... 3° Si les rives lointaines

sont l’idéal des époques sans vitesse et sans transports, l’idéal de

notre époque ne deviendrait-il pas de « voyager près » ? Il rappelle

les beautés intimes découvertes sur ces côtes, sans l’aveuglement

de l’exotisme l’eût aveuglé ; « la beauté grave se présente en bloc »,

sans fanfreluches : les cariatides de Puget à Toulon, les temples à

colonnes construits par Napoléon à Saint-Mandrier ; au bord de la

Méditerranée, la France possède des « colonies de poche » ignorées...

4° Il voulait se prouver qu’il était « possible de voyager sur mer sans

la moindre expérience. […] Sauter de mon lit dans une barque dan-

gereuse m’a rendu les forces qui me soutiennent lorsque le travail

me travaille et m’oblige à mettre une œuvre dehors. Esprits actifs

méfiez-vous de la chaise-longue ! Troquez votre activité contre une

autre. Le métier ! vous l’apprendrez à l’épreuve. Assez de gens qui

ne sont pas écrivains écrivent pour que vous puissiez vous permettre

d’empiéter sur leurs prérogatives » ... 5° Pour chercher son enfance,

il faut se méfier des privilèges de l’âge. « Fréquentez la jeunesse, et

par jeunesse je veux dire l’enfance qui s’obstine » ... Avec Marcel

Khill, tout le bateau avait vingt ans... « Et maintenant que nous sommes

amis, que nous avons tangué, roulé, bavardé ensemble, il me faut

vous avouer le principal. Ce reportage, c’est une des premières fois

qu’il m’arrive d’écrire

. Mes livres, mes pièces, même les

Portraits-Sou-

venirs

du

Figaro

, étaient ouvrages de somnambule. Pour les écrire,

il me fallait attendre une sorte de sommeil dormi debout. Dans cet

état de transe – et si prétentieux, si stupide que cela paraisse – une

force étrangère à moi me les dicte », et il doit les transcrire « au

réveil », et le rôle du poète est celui, modeste, de médium. « C’est le

motif pour lequel je m’attarde et montre quelque fierté de ce repor-

tage. Car il est peut-être détestable. Mais il est de moi » ... – Les pages

finales évoquent la « masse de lettres » reçues en réaction à son

reportage, et, en vue de la publication en volume, présentent son

conte,

Le Fantôme de Marseille

[publié dans la

Nouvelle Revue

Française

de novembre 1933], « fait divers que j’ai trouvé à Marseille

dans un tiroir de l’hôtel Beauvau. Un journal protégeait le fond de ce

tiroir, et ce journal contenait l’amorce de cette féerique et véridique

aventure ».