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10

ne pense qu’à la correspondance de Morand. Il voudrait des manuscrits de moi à tous prix. Malheureusement pour lui, l’argent m’est

indifférent »...

Vendredi [28 mai]

, déploration sur l’état de la France : « Pauvre France ; pauvre France. Elle fut, jadis, une nation militaire.

Depuis bientôt deux siècles, elle perd toutes les guerres […] Elle fut une grande nation littéraire. Elle avait du discernement (éminente

qualité) pour la cuisine, et pour la littérature. […] La moitié de

C

laudel

, passe encore ; et le pauvre

G

ide

. Mais

A

ragon

 ! Le comble de

l’horreur ! La bêtise folle. Avec

M

alraux

, la chute était déjà grave. [...] Les grandes douleurs sont muettes. Aragon, c’est un cabotin »...

(réponse jointe de Galey).

17 octobre

, sur l’impuissance et la chair : «

M

orand

m’écrit : “Dès que l’on ne peut plus faire crier une dame

pendant une heure, sans débander, il faudrait disparaître.” Je lui réponds : “ne vous y trompez pas, elle crie pour vous faire plaisir”. […]

“Impuissant” ; notion vague. L’opposé, l’excès contraire, n’est pas moins pernicieux. Le modèle serait le monde des curés et des moines.

Ils n’ont pas tous une maîtresse. Il y a donc un moyen de mater la chair : ne pas trop y penser, avant tout. Considérer “la chair” comme

une bêtise et un avilissement. Vénérer “l’impuissance”. “La chair” c’est interdit à l’artiste. – L’homme n’a pas le droit d’avoir des enfants

(surtout l’artiste) »...

22 février

1966

, lettre désabusée sur la littérature et les milieux littéraires : « Je trouve la masse des écrivains quelque chose de nul ;

la “littérarature” un ramas de niaiseries, la “société littéraire”, en tous les temps, une misère. Peut-on imaginer (pour ne parler que

des modernes) qu’une espèce de folie, telle que le “monologue intérieur” a pu occuper les esprits au moins trente ans ; que des livres

tels que le dernier

G

reen

ou

N

ourissier

, trouvent un éditeur (j’ai envie de leur dire : je ne vous demande rien ; ça vous regarde vos

petites histoires) Mes petites histoires à moi, elles sont lourdes ; mais j’ai eu assez de pudeur pour n’en rien dire ; personne, jamais, ne

les soupçonnera. […] Si on me demandait mon opinion sur

P

roust

 ; ce ne serait pas long. Je dirais : “c’était un demi-fou ; mais il avait

un art extrême pour décrire, en poète, de menus objets ; par exemple un thermomètre” »... Puis sur le Romantisme, « essentiellement

allemand »...

14 avril

, se réjouissant d’avoir reçu une lettre du général de

G

aulle

sur

Propos comme ça

, qu’il recopie…Réflexions sur la

France qui a besoin d’un commandement : « La liberté, c’est très dangereux. Elle n’a servi aux français que pour des guerres folles, des

révolutions, et autres fantaisies »...

15 août

, sur la sottise des jeunes : « Une exception à cette loi : l’époque où apparut vous,

B

renner

,

N

imier

, etc. Vous êtes venus au monde, fort cultivés, hommes faits, des vieux. Je vous ai toujours considéré comme des frères. Cette

époque est passée ; les “jeunes”, aujourd’hui, sont idiots »... Puis sur les lettres de

M

orand

 : « Il est unique. Il écrit en courant. C’est

jeté. Les “lettres” que l’on nous donne à lire, en général, c’est une misère : un pesant bavardage. La “littérature” sera perdue par “les

jeunes” »...

30 novembre 

: « Le peuple des écrivains, c’est des ingénus.

L

e

C

lézio

, dit une ingénue de cette tribu, et quelques autres,

“seront les grands” du proche avenir. Non. Clézio qui compte un peu aujourd’hui, ne sera rien, demain. Entre hier, aujourd’hui et

demain, aucun rapport. Ce sont des poissons de rien du tout que l’on aperçoit de la plage. La vie déteste la vie. D’où, le passé, le présent

et l’avenir, sans aucun rapport entre eux »...

Janvier 1967

, sur la médiocrité de la littérature et des milieux littéraires de ce temps, notamment chez

G

rasset

... Puis sur son projet de

Nouveaux Propos 

: « je n’écrirai pas

L’Histoire de l’Édition

. Cela m’ennuie. J’en fais cadeau à

B

renner

, qui l’écrira ou non. Je publierai dans

Nouveaux Propos

les morceaux sur l’édition qui m’intéressent [...] ces

Nouveaux Propos

seront un gros livre, fort différent du premier (il

faut bien changer, puisque je trouve maintenant des “propos” comme ça partout ; même chez

C

ioran

, et fort médiocres) »...

27.

François-René de CHATEAUBRIAND

(1768-1848). L.A.S., Rome 18 décembre 1828, [à Thérèse-Nadine Surdin, Mme

Constantin

S

tamaty

] ; 1 page et demie in-8.

350/400

À

la mère de

sa

filleule

A

tala

(veuve d’un consul de France à Civitavecchia ; le premier enfant du couple, Atala, née en 1803 à Rome,

fut filleule de Chateaubriand et de Mme de Beaumont). « Ce que vous me dites de vos affaires, madame, me désole : M. Jullien ne m’a

point parlé de vous ; je vais le voir. Je ne crois guères à mon crédit ; voilà pourtant un mot pour M. de Chabrol. J’espère obtenir un

congé au printemps ; alors peut-être pourrai-je vous être plus utile. Je suis souffrant de la fièvre au moment où je vous écris. L’air de

Rome m’éprouve. Mille choses à votre fille. […] Mille choses à ma filleule et à M. Varcollier »…

28.

François-René de CHATEAUBRIAND

. L.S. avec 2 lignes autographes, Londres 5 décembre 1843, à Monseigneur [le

comte de

C

hambord

] ; la lettre est dictée à son secrétaire Julien

D

aniélo

 ; 1 page et demie in-4 avec ratures (petit manque

au bord sup.).

800/1 000

B

elle

lettre

au

dernier

P

rétendant

.

« Les marques de votre estime, me consoleroient de toutes les disgrâces ; mais exprimées comme elles le sont, c’est plus que de la

bienveillance pour moi, c’est un autre monde qu’elles découvrent, c’est un autre univers qui apparaît à la France. Je salue avec des larmes

de joie l’avenir que vous annoncez : vous innocent de tout, à qui l’on ne peut rien opposer que d’être descendu de la race de S

t

Louis,

seriez-vous donc le seul malheureux parmi la jeunesse qui tourne les yeux vers vous ? Vous me dites que plus heureux que vous, je vais

revoir la France.

Plus heureux que vous 

! C’est le seul reproche que vous trouviez à adresser à votre patrie ! Non, prince, je ne puis jamais

être heureux tant que le bonheur vous manque »… Il ajoute de sa main, d’une écriture tremblée : « je suis avec le plus profond respect

Monseigneur Votre très humble &c Chateaubriand ».

Reproduction page 2

29.

Paul CLAUDEL

(1868-1955). L.A.S., Nara 7 mai 1926, à Léonard

A

urousseau

, directeur de l’École française d’Extrême-

Orient à Hanoi ; 3 pages et demie in-8, vignette et en-tête

The Nara Hotel

, enveloppe.

600/700

Il le remercie chaleureusement pour ses félicitations sur son « panonceau diplomatique ». Il se retrouve à Nara, et a fait des visites

inoubliables à Miyajina et au temple à pivoines de Hasé, où un vieil abbé vénérable l’a invité à écrire un poème sur un carton parsemé

d’or : « je n’ai trouvé autre chose que les lignes suivantes : “Je suis venu de l’autre bout du monde pour voir ce qui se cache de rose au