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107.
Jean COCTEAU.
3 L.A.S., Saint-Jean-Cap-Ferrat et Milly 1950-1953 ; 1 page in-4 ou in-8 chaque, une enveloppe (une au crayon).
250/300 €
17 février 1950
, à Jean R
ousselot
: « L’homme s’exprime comme il le peut et le poète, criminel tuant la mort, doit être en quelque sorte
“capable de tout”. Les véhicules ne comptent pas. L’atelier de P
icasso
est admirable en ce sens que c’est un lieu où il empêche la matière
de dormir et même de s’endormir »…
3 novembre 1952
, à un cher docteur. «
N’oubliez pas les photographies
que nous attendons avec
impatience. […] Racontez-moi surtout la réaction du public »…
1
er
février 1953
, à François S
alvat
, chez Bernard Grasset. « On va vous
remettre l’exemplaire corrigé des
Portraits-Souvenir
. Vous serez très aimable, en mon absence, de surveiller les corrections »…
108.
Jean COCTEAU
. 3 L.A.S. « Jean », Santo Sospir 1952, à son ami René
B
ertrand
; 1 page in-4 ou in-8 chaque.
300/400 €
7 août.
« Je tâche actuellement de dessécher mon style, de le rendre plus vif et plus clair. […] Je rempaille la chaise de l’âme, comme
le dernier des romanichels. Il me reste à mettre debout un chapitre sur le phénomène de distances, et, si vous étiez là, cela faciliterait
mon travail. Mais votre pensée ne me quitte pas et remplace un peu la présence. Je viens de relire P
roust
. C’est assez terrible. Une
plante monstrueuse d’appartement – une plante grasse chez un malade. Le livre de S
artre
sur G
enet
est d’un autre terrible. Le terrible du
professeur. On n’ose plus ouvrir le bec. Racontez-moi où vous en êtes. Je me console dans le livre des œuvres complètes de Radiguet
qui est merveilleux »…
21 août.
Au sujet d’une riche Américaine, Caresse C
rosby
, « citoyenne du monde », qui veut « construire à Delphes
une sorte de
trésor
[…] haut-lieu de rêve (à l’américaine) de l’esprit international – mettons une casemate de lutte du singulier contre le
pluriel. Tout cela me semble assez absurde, mais elle voudrait prendre contact avec vous pour récolter quelques paroles d’Héraclite
[…] mon rôle se borne à lui avoir parlé de vous comme du seul savant français qui ne relève pas des Écoles »…
13 décembre
. Quand il
aura complété sa préface [de
Sagesse et Chimères
], perdue en partie chez Grasset, il la lui enverra. « J’y ai mis tout mon cœur »... « La
conspiration du silence s’installe de plus en plus au milieu de celle du bruit. Il y a une partie de cartes dont nous ne sommes pas et des
joueurs nous en veulent. Il importe de l’admettre et de nous serrer entre solitudes »…
109.
Jean COCTEAU.
4 L.A.S., Saint-Jean-Cap-Ferrat et Milly 1953-1961 ; 1 page in-4 chaque.
300/400 €
6 octobre 1953.
Il déplore « nos programmes d’études. Ils s’adressent en surface à l’élève au lieu de pénétrer dans les zones qui permettent
de prendre conscience et contrôle. Vos nouvelles directives me semblent être d’une importance extrême et répondre au besoin d’une
époque où l’âme recule à mesure que ce qu’on nomme progrès avance »…
15 octobre 1953
, à Eghor G. Rostetzky, à Munich. « La difficulté
vient toujours de ce mur des habitudes qu’il faut traverser et qui nous désintègre. C’est la fatigue de cet exercice qui m’a éloigné du film
et m’oblige à vivre au bord de la mer loin des entreprises où l’homme se trompe de route. Naturellement que votre idée est intéressante.
C’est même ce qu’elle aura contre elle »…
9 avril 1955
, à Keith G
oesch
, biographe de Radiguet : « Je vous félicite beaucoup pour ce travail
– mais ne le publiez pas sans la lettre de toute importance que je vous indique »…
2 décembre 1961,
à son cher Alain, à la veille du décès
de son frère aîné Paul. « Je ne “sors” presque plus et François le sait. En outre je me trouve pris dans le drame de mon frère. Il est perdu et
le médecin le prolonge par artifice… et par devoir ! »…
110.
Jean COCTEAU.
2 L.A.S., 1954-1961, à Jacques L
epage
; 1 page in-8 et 1 page in-4.
150/200 €
Kitzbühel (Autriche) 23 février 1954
. « Il y a déjà longtemps que je vous ai envoyé le texte mais à l’ancienne adresse. Ne l’auriez-vous pas
reçu ? Je n’en possède hélas aucun double. Rassurez-moi »…
Milly 2 décembre 1961,
au sujet du
Testament d’Orphée
: « Il était important
pour moi de publier le texte du film – car le public se laisse distraire par les images d’un film et cherche des symboles où il n’y en a pas.
Cette transposition moderne des épreuves de l’initiation orphique (propre à tous les poètes) ne représente pour notre époque frivole et
distraite que du désordre fantaisiste. Un considérable public de l’ombre ne s’y trompe pas et met les œuvres à l’étude
sous l’estrade de
l’actualité
. C’est la croisade de solitaires dont parle Unamuno. Je ne travaille que pour eux »…
111.
Jean COCTEAU.
M
anuscrit
autographe de réponses à un questionnaire, et L.S. d’envoi en partie autographe, Saint-Jean-
Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes) 22 avril 1956, à Georges R
ibemont
-D
essaignes
; 7 pages in-4 avec ratures et corrections, et
3 pages in-4 en grande partie dactylographiées.
500/600 €
T
rès
belle
lettre
.
« Jadis on travaillait afin d’embellir le monde et par enthousiasme. On luttait pour vaincre la mort. Aujourd’hui, nous
travaillons tous afin d’oublier le monde où nous sommes obligés de vivre.
Nous lisons dans le train des livres achetés à la gare.
Voilà toute
la différence. Elle est énorme. Elle a créé l’optimiste pessimiste dont je suis l’exemple »… Le cas de P
icasso
est exceptionnel : « Il s’enfonce
dans un royaume dont il est le maître absolu, poussant son impérialisme jusqu’à transformer les objets et les visages, jusqu’à les contraindre
(comme Orphée charmant les bêtes) à prendre les formes qui lui conviennent et qui portent les armes de son blason. Mais nous, perdus
sur cette vaste île déserte, sachant que le progrès est une farce puisque parallèlement à lui l’âme déprogresse, mais nous, sachant que
l’espace-temps s’amuse à organiser des mensonges et d’atroces cache-caches dont nous sommes les dupes, mais nous qui devinons que
d’autres dimensions invisibles cohabitent avec les nôtres et nous observent, mais nous qui savons qu’il n’y a ni hier, ni présent, ni lendemain,
mais un seul bloc que notre infirmité déroule comme un film sorti de sa boîte, que devenir si nous ne cherchons pas un dérivatif dans un
acharnement aveugle à perpétuer la mystérieuse race des œuvres »… Etc. – Dans ses réponses aux questions 4, 5 et 6 du questionnaire,
Cocteau condamne les intellectuels et les « clercs de France », parle du paradoxe apparent d’être académicien, et du phénomène dérisoire
d’
arriver
… « Notre époque, cher Ribemont, fut dominée par la peur du beau, par une peur panique de faire preuve de faiblesse en admettant
la douceur et le charme. Cette crainte a conduit l’art sur des routes abruptes, parmi les fils de fer barbelés et a ouvert la porte aux monstres.
Qui, en 1956 oserait avouer préférer Ariane à Minotaure et une promenade en mer à se perdre dans le labyrinthe. Qui ? Je te le demande
? Personne, et nous voilà de nouveau comme à cette époque où Raymond Radiguet m’apprit que le vrai pessimisme ne consistait plus à
tourner le dos au bourgeois mais de le tourner à l’avant-garde […] Il m’avait sauvé de la mode qui n’ose pas dire son nom et se vante de ne pas
l’être. Et maintenant, son exemple m’aide encore à vivre et à préférer ma solitude à la morne farandole des intellectuels »…