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43

GAZETTE

DE THÉOPHRASTE RENAUDOT

(n

os

14 et 15)

«E

N UNE

SEULE

CHOSE NE

CEDERAY

-

JE

À

PERSONNE

,

EN

LA

RECHERCHE DE

LA

VÉRITÉ

... » (T

HÉOPHRASTE

R

ENAUDOT

)

L

A

G

AZETTE

,

PREMIÈRE

FEUILLE

HEBDOMADAIRE

JAMAIS

IMPRIMÉE

EN

F

RANCE

,

ET

LA

PLUS

PÉRENNE

:

fondée en 1631

par le médecin Théophraste Renaudot (1586-1653), elle ne cessa de paraître qu’en 1915. Dans sa remarquable

et longue préface ouvrant l’année 1631, Renaudot délivre une formidable leçon de journalisme, soulignant

« la nouveauté de ce dessein, son utilité, sa dif culté » et énonçant les grands principes qu’il se propose

de suivre.

«L

A

NOUVEAUTÉ

DE

CE

DESSEIN

»

:

si des canards paraissaient épisodiquement depuis longtemps, si des

gazettes manuscrites régulières circulaient en France depuis le début du XVII

e

siècle, et si des gazettes

régulières s’imprimaient déjà en Allemagne et en Italie, il revient à Renaudot d’avoir fondé le premier vrai

périodique imprimé en France. La

Gazette

dut affronter dès le départ la concurrence à Paris des

Nouvelles

ordinaires de divers endroits

du calviniste Jean Epstein (principalement consacrée aux nouvelles d’Allemagne

et des Pays-Bas), dont l’impression semble avoir débuté quelques semaines après : Renaudot en débaucha le

principal rédacteur à partir de l’automne 1631, et cette publication rivale disparut à la n de l’année.

F

AIRE

LE

BIEN

ET

DIVERTIR

.

Renaudot, qui menait par ailleurs des activités philanthropiques, af rme vouloir

répandre des nouvelles à la véracité établie pour servir les intérêts des honnêtes gens tout en leur procurant

«plaisir & divertissement ».

«E

SSAYER

DE

CONTENTER

LES

UNS

&

LES

AUTRES

».

Avec humour, il explique la dif culté de sa tâche, qui tient

à la diversité des attentes chez les lecteurs, à « la brieveté du temps » que lui donne leur impatience, et aux

nécessaires critiques à recevoir : « si la crainte de desplaire à leur siècle a empesché plusieurs bons autheurs

de toucher à l’histoire de leur âge, quelle doit estre la dif culté d’escrire celle de la semaine, voir du jour

mesme auquel elle est publiée ? »

«L

A

RECHERCHE

DE

LA

VÉRITÉ

».

Dans cette quête qui constitue son but essentiel, Renaudot s’assigne

une obligation de moyen mais non de résultat, rappelant qu’il dépend de ses sources, notamment de

correspondants à l’étranger : «En une seule chose ne cederay-je à personne, en la recherche de la vérité :

de laquelle neantmoins je ne me fay pas garand. »

«L

IBERTÉ

DE

REPRENDRE

»

POUR

LE

LECTEUR

,

LIBERTÉ

DE

S

AMENDER

POUR

LE

JOURNALISTE

.

Renaudot af rme ne

pouvoir ni ne devoir « tenir la bride » à la censure du lecteur, « cette liberté de reprendre n’estant pas le

moindre plaisir de ce genre de lecture [...]. Jouissez donc à votre aize de cette liberté françoise [...]. » Il offre

ainsi au lecteur un droit de réponse et de participer à la manifestation de la vérité, s’accordant à lui-même

le droit de se corriger : « ceux qui se scandalizeront possible de deux ou trois faux-bruits qu’on nous aura

donné pour veritez, seront par là incitez à debiter au public par ma plume (que je leur offre à ceste n) les

nouvelles qu’ils auront plus vrayes ».

L

ES ANNÉES DE

LA

G

AZETTE

SOUS

LA DIRECTION DE

R

ENAUDOT

FURENT

PARTICULIÈREMENT RICHES

.

Personnalité hors

du commun, Théophraste Renaudot «parvient à dominer ces contraintes tout en montrant un tempérament

et un talent journalistiques exceptionnels : les nombreuses préfaces de ses

Extraordinaires

, les ré exions

personnelles dont il émaille souvent ses textes donnent des leçons de journalisme d’une remarquable

modernité » (Gilles Feyel, article n° 492 sur la

Gazette

dans

Dictionnaire des journaux

publié sous la direction

de Jean Sgard). Il t preuve, notamment entre février 1632 et décembre 1633, d’une liberté de ton qui déplut

en haut lieu, exerçant «pleinement son métier de journaliste, reprenant les nouvelles les plus importantes

du mois écoulé, jugeant des hommes et des événements » (Feyel,

ibid.

). En tous les cas, il sut se garder une

marge de liberté tout en satisfaisant un lectorat noble (épée et robe) attaché à ses valeurs d’excellence,

d’abnégation et de courage.