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le vaisseau ; dès que Sapho n’aperçoit plus le vaisseau, elle s’abandonne à une crise de désespoir, à la suite de laquelle elle tombe
évanouie par terre. Le pâtre passe. Dès qu’elle revient à elle, qu’elle se souvient de tout ce qu’elle a perdu sans retour, au lieu
de l’hymne à l’érèbe, suivi d’un dernier accès de cris, elle prendra sa lyre, et chantera son chant du cygne, chant d’amour et de
douleur ; là le lamento trouvera sa place ou, si ce n’est pas lui, un chant de cette même teinte. De cette façon ce sera complet sans
être trop long »… Elle donne d’autres détails sur les remaniements, citant des paroles de l’ode d’Alcée… « Il faut maintenant un
repoussoir à la musique satinée et rêveuse de l’ode de
Sapho
. Outre cela, je demande à tous deux, au poète et au musicien, de faire
une pétarade de quatre vers, d’un rythme tranchant et animé pour séparer la fin de l’ode du “Merci Vénus”, et qui serait chantée
par quatre prêtres qui couronneraient Sapho. Cette petite cérémonie peut être belle à faire, termine bien la séance, repose Sapho,
repose surtout le public »… Le pauvre Gounod « est tout en fièvre, il ne tient pas en place. Il n’aura de repos que lorsque tout
son ouvrage sera entièrement achevé. Roqueplan lui a donné jusqu’à la fin du mois. Dans tous les cas, il peut toujours remettre
sa partition telle qu’elle est, sauf à changer plus tard autant de morceaux qu’il le voudra »... Quant à elle, « depuis mon retour
de Londres, je n’ai pas fait un son. Je vais commencer aujourd’hui, car je veux faire entendre mon rôle à Charles avant que nos
vacances soient terminées ». Elle donne des nouvelles de l’Opéra (Mlle Alboni dans
la Favorite
, le prochain opéra d’Auber…).
Samedi 14
. Elle attend les lettres de son ami. « Imaginez-vous que je n’ai rien fait depuis mon retour, mais rien, absolument rien.
Je vis au soleil comme un lézard, je brunis à vue d’œil, je dévore tout ce qui tombe sous ma dent. Je pense
beaucoup
à vous. Voilà
l’abrégé d’une de mes journées ».
Dimanche 15
. Son frère Manuel est parti « emmenant ses gamins qui ont tout cassé dans la maison. […] Des enfants de ce calibre
doivent être un bien grand souci pour des parents. Ma Louisette est à peu près la même que toujours. Excessivement intelligente,
mais horriblement têtue dans ses opinions. Personne n’est assez sévère envers elle, il n’y a pas d’unité dans notre conduite à son
égard. Les uns gâtent ce que font les autres »...
Louis Viardot termine la lettre, parlant de son « bon chien écossais » et de ses exploits de chasseur…
O
n
joint
la fin d’une autre L.A.S. de Pauline
V
iardot
à Tourgueniev, [début février 1851], avec à la suite une L.A.S. de Louis
Viardot au sujet d’affaires, de placements, et de l’impression de son
Histoire des Arabes
… (2 pages in-8).
Ivan Tourgueniev,
Nouvelle correspondance inédite
(1971), t. I, n° 163-164.
104.
Pauline VIARDOT
. L.A.S., suivie d’une L.A.S. de Louis Viardot, Paris 2 décembre 1857, à Ivan
T
ourgueniev
;
1 page et 1 page et demie in-8.
300/400
« Cher Tourgueneff, au moment de partir pour Varsovie, je viens vous donner une poignée de main d’adieu. J’espère que vous
m’écrirez en adressant vos lettres au Théâtre Impérial. […] Donnez-moi de bonnes nouvelles de votre santé et de votre travail. Je
tâcherai de vous rendre la pareille. N’oubliez pas tout à fait votre amie bien dévouée »….
Louis Viardot prend la plume pour renseigner son ami sur la publication dans les revues françaises de plusieurs de ses œuvres
(la plupart traduites par lui et Tourgueniev) :
L’Auberge de grand chemin
dans
L’Illustration
,
Le Partage
dans la
Revue de Paris
,
Le
Birouk
traduit par H. Delaveau dans
Le Courrier de Paris
, et
Une correspondance
dans le
Journal pour tous
illustrée par Bertall :
« Vous voyez que votre nom, suivant le mot de Cervantès, vole sur toutes les ailes de la Renommée. Je crois que c’est une très
bonne manière de préparer le succès du livre [
Scènes de la vie russe
] », dont il reverra soigneusement les épreuves…
Ivan Tourgueniev,
Nouvelle correspondance inédite
(1971), t. I, n° 165.
105.
Pauline VIARDOT
. L.A., Bade 8 juillet [1865], à Ivan
T
ourgueniev
; 6 pages in-8 à son chiffre.
600/800
Elle déplore la longueur de l’acheminement des lettres : « En vérité, quand on songe à tout ce qui peut toujours être arrivé depuis
le moment où la lettre est sortie de la main qui l’a écrite, le cœur se serre et on n’a presque plus de plaisir à lire cette lettre que
l’on a si impatiemment attendue ». Elle attend avec impatience l’arrivée de son ami… Nouvelles de Baden : mort de la mère du
Grand-Duc (la matinée musicale est annulée), arrivée de Nikolaï
R
ubinstein
et de Clara
S
chumann
… Évocation de l’été et de « la
chaleur étouffante » en réponse à la description de l’hiver par Tourgueniev… « Hier dans la nuit (il était près de minuit lorsque
ces demoiselles sont parties), j’ai fait un tour dans le jardin – les canards étaient sur l’eau, immobiles, mais les yeux tout grands
ouverts. Mon approche ne les a pas effrayés. Une grosse grenouille a sauté dans l’eau. Quelque chose d’un peu gros remuait près
de la bordure de fleurs, je me suis baissée, pensant que c’était un petit oiseau, j’avais la main dessus, lorsque j’ai reconnu que c’était
un gros vilain crapaud. Je me relève et je vois Pégase [le chien de Tourgueniev] devant moi, immobile comme s’il était empaillé. La
lune donnait en plein sur ses yeux et les faisait paraître tout verts. Nous nous sommes regardés longtemps en silence... […] Je l’ai
appelé, il a grogné et je me suis tue. Quelle drôle de bête ! il nous regarde tous d’un air méfiant, comme s’il nous soupçonnait de
vous avoir fait disparaître par des moyens violents. Va-t-il être content de vous revoir ! je me mettrai à sa place en pensée »... Détails
sur son aménagement : « Mon bureau sculpté est en place, il est tout à fait bien réussi, et d’un effet charmant. Décidément, je vais
faire placer le piano carré dans la chambre des enfants et faire descendre mon petit pianino dans son ancienne place. Je ne puis pas
composer à ce gros instrument qui me laisse voir tout son intérieur. Non, non, j’aime mieux mon petit chaudron tout petit, qui
ne prend qu’une toute petite place et qui, par cela même qu’il a un petit son, ne me donne pas envie de jouer du piano. Et puis,
je n’entre pas une fois dans mon petit salon sans être choquée de la place qu’y prend le piano carré. Toute ma petite pièce en est
comme désharmonisée, cela m’ennuie, sans que je puisse m’y faire ». Elle a retrouvé la partition de
Tristan
dans la bibliothèque…
Ivan Tourgueniev,
Nouvelle correspondance inédite
(1971), t. I, n° 166.
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