Jacopo Sannazaro (1457-1530) était célèbre dans toute l’Italie comme l’auteur d’
Arcadia
(1502). Ayant animé
l’Académie napolitaine après la mort de Giovanni Pontano, il composa le
De Partu Virginis
, des élégies, des
épigrammes et d’autres œuvres latines qui furent publiées à Venise par Alde Manuce en 1535. Sannazaro était
donc au centre de la modernité poétique européenne lorsque Sébastien Gryphe décida de publier, un an après,
ce recueil vénitien. Depuis 1533, Dolet vivait à Lyon chez Gryphe. Il y avait fait imprimer ses premiers livres
et participait aux travaux de l’imprimerie comme correcteur. Poète lui-même, il suivit sans doute de près
l’impression de ce volume.
Dès sa parution, ce livre a été relié avec soin, très probablement à Lyon. Depuis plusieurs années, la reliure
parisienne avait adopté sous l’égide de Pierre Roffet des décors d’encadrements dorés d’inspiration italienne
devenus la “grammaire décorative incontournable de tous les ateliers parisiens pratiquant la dorure”
(F. Le Bars, “Geoffroy Tory et la reliure”, cat. exp.
Geoffroy Tory
, Paris, RMN, 2011, p. 133). Le décor de cette
reliure, estampé à froid, marque donc un certain retard par rapport aux innovations parisiennes. Le relieur (ou
le doreur) a frappé en lettres d’or, en travers des plats, les prénom et nom de Dolet :
STEPH
sur le plat supérieur
(curieusement sans point final pour une abréviation latine), et
DOLETUS
sur le plat inférieur qui est un nominatif
et non un génitif, régime qui aurait été plus approprié pour une appartenance.
STEPH
et
DOLETUS
ont été poussées avec des lettres à tiges dont la forme dérive d’un alphabet employé par
Pierre Roffet au tournant des années 1520. Le “S” à tête renversé et le recourbement vertical de la patte inférieure
du “E” apparentent l’alphabet utilisé pour cette reliure à la source parisienne qu’employait en effet Pierre Roffet,
celle “des lettres dites
de deux points de Saint-Augustin
attestées pour la première fois à Paris en janvier 1519
et très largement diffusées depuis le début des années 1520” (Fabienne Le Bars,
op. cit.
, p. 133). Ce caractère
typographique qui inspira les lettres à tiges de Roffet a été décrit par Hendrik D. L.Vervliet dans
The
Paleography of the French Renaissance
(Leyde, 2008, n° 16, p. 34). Les illustrations des pp. 34 et 35 de cet
ouvrage montrent ainsi une communauté d’inspiration entre le caractère typographique
des deux points de
Saint-Augustin
, les reliures épigraphiques de Pierre Roffet et les lettres dorées de cette reliure (sur ces reliures
de Pierre Roffet, cf.
Commentaires de la Guerre gallique
, BnF, Mss Fr. 13429 et l’
Augurellus
d’Alde, 1505,
BnF, Réserve, RES P-YC-944, repr. dans cat.
Geoffroy Tory. Imprimeur de François I
er
et graphiste avant la
lettre,
au Musée d’Écouen). Cette mystérieuse marque d’appartenance à Étienne Dolet est-elle alors un acte
bibliophilique revenant à Dolet lui-même ou un don amical de l’éditeur et de ses amis de la
sodalitas
lyonnaise
à leur correcteur ? Nul ne le sait. On connaît cependant une autre reliure épigraphique portant la devise d’Étienne
Dolet sur des
Heures
de Tory de 1525 dans la collection Rothschild à la BnF (ill. cat
Tory
au Musée d’Écouen,
p. 137, n° 110). Serait-ce là la révélation d’une forme habituelle de pratique ?
La qualité remarquable de cet exemplaire tient aussi à ses provenances. Deux d’entre elles attestent d’une
remarquable proximité de pensée et d’amitié avec Étienne Dolet lui-même.
Au bas de la page de titre se lit l’ex-libris manuscrit de
N. Beraldi
soit l’humaniste
Nicolas Bérauld
(1473-1550). Avocat, puis conseiller au Parlement de Paris, il joua un rôle de premier plan dans le
développement de l’humanisme français. Bérauld se rendit en Italie vers 1500. Il ne fut pas, comme son
correspondant et ami Érasme ou comme Guillaume Budé, un penseur épris de spiritualité, mais un juriste, un
savant, un philologue infatigable, un professeur enthousiaste, et même un imprimeur actif. Il œuvra, aux côtés
de Josse Bade, à publier et commenter des textes fondamentaux pour l’élaboration d’une Renaissance
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