On rencontre aussi son e
mptus
sur le Lucien de Samosate de la BnF (Florence, 1496) :
Nicolai Beraldi et
amicorum et Emptu
(cf. R. Menini et O. Pédeflous, “Les marginales de l’amitié. Pierre Lamy et Nicolas Bérauld, lecteurs
de Lucien de Samosate (BNF RÉS. Z 247)”,
Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance,
t. 74, n° 1 (2012), pp.
35-70). Bérauld servit divers évêques comme Jean d’Orléans à Toulouse, puis il entra au service du Chancelier
Antoine du Prat qui le fit nommer historiographe du Roi et précepteur des enfants de Gaspard de Coligny marié
à Louise de Montmorency. Il resta d’ailleurs au service de l’aîné, le futur cardinal Odet de Châtillon. Nicolas
Bérauld fut aussi, et c’est pour cela qu’il signe au pied de cette page de titre, le maître révéré d’Étienne Dolet.
Il organisa pour lui le fameux banquet pour fêter le pardon royal après l’assassinat par Dolet du peintre
Compaing le 31 décembre 1536. Étienne Dolet le cite dans son fameux récit des
Carmina
, comme d’ailleurs
Jean Salmon Macrin, seconde provenance remarquable de cet exemplaire :
“Le jour du banquet qu’une docte réunion d’amis préparait pour moi, arriva bientôt. On vit là réunis tous ceux que nous appelons, à bon
droit, les lumières de la France : Budé, si réputé pour sa science variée et étendue ; Bérauld, aussi heureusement doué par la nature
qu’habile dans la composition latine ; Danès... ; Toussaint qui passe à juste titre pour une bibliothèque parlante ; Macrin, à qui Apollon
a donné le don de tous les genres poétiques ; Bourbon..., Dampierre..., Voulté..., Marot, ce Marot français, qui montre une vigueur divine
dans ses vers ; François Rabelais ; l’honneur et la gloire de l’art de la médecine qui peut rappeler et rendre à la vie ceux qui sont déjà
arrivés au seuil même de Pluton... Parmi ces gens, la conversation ne languit pas. Nous passâmes en revue les savants étrangers : Erasme,
Mélanchton, Bembo, Sadolet, Vida, Sannazar furent tour à tour discutés et loués”... (cité par Copley Christie, p. 299)”
Cet exemplaire passe alors entre les mains d’un autre participant à ce fameux banquet,
Jean Salmon Macrin
(1490-1557). Celui qu’on surnommait l’
Horace français
était incontestablement l’un des meilleurs poètes de
sa génération. Robert Estienne a publié les six livres de ses hymnes en 1537. Macrin, grand poète néo-latin,
exerça une influence déterminante sur la poésie de langue française, cette fois, que la Pléiade déploya quelques
années plus tard. Macrin est poitevin, originaire de Loudun, où il connut de grands succès scolaires dans son
enfance. Il partit pour Paris étudier sous la houlette de Lefèvre d’Étaples. Le jeune homme entre bientôt au
service d’Antoine Bohier, le riche archévêque de Bourges, dont il reste le secrétaire jusqu’au décès du prélat
en 1519, puis au service de la maison de René de Savoie, oncle du roi, comme précepteur de ses enfants. Macrin
est l’auteur d’une dizaine de recueils de poésie constamment réédités de 1512 à 1550.
Ce livre ne porte aucune marque de possession directe inscrite par Macrin sous la forme traditionnelle d’un
ex-libris manuscrit. Il y a cependant plusieurs preuves irrécusables et émouvantes que ce livre lui a bel et bien
appartenu. Macrin a utilisé les pages de garde comme livre de raison. Au verso de la dernière garde, Jean Salmon
Macrin a dressé dans la marge intérieure une liste de prénoms :
Helena, Honoratus, Susanna, Charilaus, Maria,
Theophilus, Timotheus, Dorothea, Philippus, Camilla, Helenus
et de nouveau
Theophilus
. Puis, à la gauche de
cette liste, il a réparti ces noms en deux nouvelles listes. La première présente le nom de ses enfants encore
vivants ; la seconde ceux de ses enfants déjà morts. Jean Salmon Macrin a très souvent mentionné les
événements familiaux dans ses poèmes. I. D. McFarlane a pu reconstituer par ce moyen la liste de ses enfants
qui est exactement celle qui se trouve dans l’inscription conservée de ce livre (Jean Salmon Macrin, dans
Bibliothèque d’Humanisme et de Renaissance
, 1959, t. 21, pp. 55-84, 311-349 et t. 22, pp. 73-89). Ainsi sur le
plat inférieur figure la mention du décès d’une fille :
Dorothea obiit xix° februarii Anno domini millesimo
quigentisimi trigesimo nono, apud Ternium sepulta est
. Mieux encore, Jean Salmon Macrin a recopié au
contreplat inférieur une lettre à lui adressée par François Bohier, évêque de Saint-Malo, soulignant encore par
là les liens existants entre Macrin et la famille Bohier. Au contreplat supérieur figure aussi, de la même main,
un poème de dédicace repris sur celui imprimé au verso du titre et que Macrin a modifié pour l’adapter au
nouveau titre qu’il lui a donné :
Ad dominum Christum
.
La troisième provenance significative de cet exemplaire est celle de Jean Filleau (mort en 1636) qui signe sur
la page de titre :
Ex libris Johannis Filleau antecessoris pictavensis et fiscis advocatus
, soit le même ex-libris
que le Montaigne de 1582 de la vente Pottiée-Sperry (
Cat.
, 27 novembre 2003, lot 3). Il s’agit de l’une des
grandes familles de parlementaires et hommes de lettre poitevins, proche au XVII
e
siècle de la spiritualité
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