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J’arrive à débarrasser ma tête de toutes ces visions qui l’ont si longtemps peuplée

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NERVAL (Gérard de).

Lettre adressée au docteur Émile Blanche.

Sans lieu

[Passy],

ce samedi

[3 décembre

1853].

Lettre autographe signée “Gérard de Nerval” ; 1 page in-8, adresse au verso de la page 4.

Très émouvante supplique du poète à son médecin : “Oserais-je vous prier de me permettre d’aller

demain dimanche voir mon père ?”

Mon cher monsieur Blanche,

Dans les momens où je vous vois, je puis à peine vous dire tout ce que j’ai sur le cœur. Considérez que depuis dix

ou douze jours que je ne sors plus, mes réflexions ne m’ont apporté que des sentimens purs et de bonnes résolutions.

Maintenant, oserais-je vous prier de me permettre d’aller demain dimanche voir mon père. Ce pauvre vieillard

auquel vous vous êtes intéressé, doit être bien triste ; ma vue et la certitude que je suis en bonne voie de guérison

lui seront sans doute un soulagement. On vieillit vite à son âge et au mien, le temps presse aussi. Par les pleurs que

j’ai versés bien sincèrement au service de votre père, je vous conjure de me donner cette satisfaction. Ne craignez

pas que je mette le plaisir de voir mes amis au dessus d’un devoir si sacré. Je puis me résigner à recevoir rarement

des visites, mais la vue de mon père relèverait ma force morale et me donnerait l’énergie de continuer un travail

qui je crois ne peut être qu’utile et honorable pour votre maison. J’arrive ainsi à débarrasser ma tête de toutes

ces visions qui l’ont si longtemps peuplée. À ces fantasmagories maladives succèderont des idées plus saines, et je

pourrai reparaître dans le monde comme une preuve vivante de vos soins et de votre talent. C’est moralement

surtout que vous m’aurez guéri et vous aurez rétabli dans la société un écrivain qui peut encore rendre des

services. C’est un ami surtout et un admirateur que vous avez conquis.

[…]”

Le poète avait été admis dans la clinique du docteur Blanche à la fin du mois d'août 1853, à la suite d'une crise.

Le 1

er

septembre, il annonce à son père : “La joie m'a donné un peu d'excitation, et je suis à Passy, chez des amis,

dans une maison superbe et dans de beaux jardins.”