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Victor Hugo, “voyant de l’invisible”

191

HUGO (Victor).

Manuscrit autographe inédit.

Guernesey, 31 mars - 10 décembre 1856.

In-12 [156 x 102 mm] de 14 feuillets sur papier réglé, avec une note signée d’Auguste

Vacquerie : maroquin rouge, dos à nerfs, coupes filetées or,

doublures de maroquin moutarde

serties dans un filet doré, gardes de moire grenat, étui

(Saulnier).

Précieux “

regisTre

d

observaTioNs

” des expériences spirites du poète, source

d’inspiration des

C

oNTemplaTioNs

. Inédit, le carnet intime a été retenu par les

exécuteurs testamentaires de Victor Hugo pour ne pas desservir sa mémoire.

Essentiellement nocturnes, ces “

observations sur certains faits qui appellent mon attention et

que j’ai commencé à consigner dans le cahier d’adresses et dans le petit livre noir” sont infiniment

précieuses. J.C. Barrère notamment déplorait que Victor Hugo, qui a tant médité sur la part du

rêve dans la création artistique, “nous ait rarement communiqué ses observations sur ses rêves

”.

Nuit du 31 mars.

Au petit jour, je me suis réveillé comme en sursaut. Au même moment, j’ai entendu dans ma

chambre tout près de mon lit, le bruit d’un pas, non d’être humain, mais d’animal. C’était plus

lourd que le pas d’un chat et plus léger que le pas d’un chien. J’ai écouté ; j’ai entendu le pas à

ma droite dans l’intérieur de mon mur, puis il est sorti de ma chambre dont la porte était fermée

et je l’ai entendu descendre l’escalier ; en s’éloignant, il se dénaturait et devenait comme un pas

d’ homme ou de femme. Arrivé en bas, il m’a paru s’évanouir dans une sorte de frémissement qui

n’avait d’analogie avec aucun bruit connu. Alors, je me suis mis à prier pour ceux qui sont dans

l’épreuve et j’ai dit au fond de ma pensée : “S’il y a ici, près de moi, quelque être qui soufre

[sic],

quel qu’il soit, qu’il soit béni et qu’il prie pour moi comme je prie pour lui”. En ce moment-là, j’ai

entendu deux coups très distincts dans mon mur.

J’ai écouté, priant mentalement l’être quelconque qui pouvait être là de frapper de nouveau ou

de se manifester encore à moi, mais je n’ai plus rien entendu je me suis rendormi

(feuillets 2-3).

Nuit du 9 au 10 avril.

Je suis rentré et je me suis couché à minuit. Sitôt ma bougie soufflée, la chambre a été comme

remplie d’un bruit singulier. C’était comme si les papiers jetés dans ma cheminée et entassés sur

ma table entraient en mouvement tous à la fois

[...].

Ce bruit était si vif, si persistant, si compliqué

de froissements étranges, quelques-uns dans l’intérieur même du mur, qu’il ma tenu éveillé.

En l’écoutant, je priais pour les êtres qui souffrent. Plusieurs fois j’ai dit dans ma pensée : « Si

quelqu’un est là, qu’il frappe trois coups sur le mur ». Alors j’entendais, non des frappements

distincts comme ceux que j’ai déjà constatés, mais de petits battemens obscurs, fébriles, dépassant de

beaucoup le nombre trois, et comme impatients. Le bruit durait encore quand je me suis endormi,

vers trois heures. J’ajoute qu’ à un certain moment, j’ai cru sentir un bercement dans mon lit, mais

très vague

” (feuillets 3-5).

Au bas de cette page hallucinée, Auguste Vacquerie ajoute quelques instants plus tard six

lignes qu’il signe : “

Je viens d’entrer dans la chambre de Victor Hugo et j’ai constaté l’immobilité

des papiers sur sa table et dans sa cheminée par un vent même très fort et ses deux fenêtres ouvertes.

Auguste Vacquerie. 10 avril. Midi

” (feuillet 5).

Plus tard encore, dans la marge intérieure de cette même page, Hugo ajoute : “

Aujourd’ hui

pour la première fois j’ai communiqué à quelqu’un (Auguste Vacquerie) quelque chose de ce que

j’écris dans ce livre. 10 avril. V. H.