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Sur l’art contemporain :
« En plus je lis dans certains journaux les éloges des manifestations
happening dans la nullique peinture – où on exalte un peintre qui s’expose lui-même en mangeant
de la viande avariée pendant que sur des caisses de télévision sont projetées les horreurs de
l’actualité. »
(1.12.41)
Contraintes :
« Je ne supporte pas le sujet donné et les contraintes. C’est ainsi qu’on finit par ne plus
avoir envie de peindre – voir les exemples de vraiment lamentables graphiques de Dali et Chagall
(ils ne peignent plus de tableaux. »
(22.7.75)
Exigence de l’amitié :
« Combien d’autres au bord du chemin se défont, deviennent petite fumée
puante de prétention qui rapidement s’évapore. Heureusement que j’ai une nature, comme on dit,
en cela saine. Si je vois certains défauts et failles que je trouve graves comme le manque de générosité,
la prétention, etc., je n’ai aucun regret de cette si faible amitié et présence perdue. J’ai seulement un
peu plus de dégoût, de l’étonnement aussi. »
(28.8.75)
« Je pense qu’en dehors de petits accidents, on peut profondément – inconsciemment – avoir une
nécessité d’être brimé ou exilé, et cela en contraste, des élans. Dans le domaine des passions, désirs,
affections, on a ce qu’au fond on veut et justement ce qu’on voudrait refuser et s’en défendre. Ceci
est ce que moi je pense. »
(31.10.75)
Histoire d’O :
« Symptôme de permissivité, ce qui ne veut pas dire tout à fait liberté. Tchou
refait une édition « bon marché » de mon livre (illustré par moi), avide d’en profiter encore. Mais
mes dessins sont plus violents que le livre
(...)
J’imagine des réactions choquées, “pas sérieuse”,
« trop narcissique », etc., comme si tous les êtres doués de créativité n’étaient – volens nolens – tous
narcissiques, feignant parfois un sérieux noble, ce que moi je ne fais justement pas et jamais. »
(4.9.75)
Sur Jean Lacouture :
« Au fond les Lacouture sont “intelligents” mais pas plus que des bourgeois
(petits) affranchis à moitié et ce n’est pas mon univers, même de loin. La femme est capable de me
trouver “pervertie” si je parle vraiment franchement. Ils “aiment les artistes” (nous connaissons la
chanson) mais tellement du “ dehors”. Non, non. Je veux la paix dans mon “enfer” comme disent
les Desch. »
(15.8.75)
Sur l’une de ses toiles :
« J’ai donc commencé une toile de “ hain” (mais avec le sourire) : il s’agit
d’un gros, horrible, monsieur très vieux couvert d’un grand et beau manteau (forme de prélat
mélangé à ces mantilles que portent les femmes chez les coiffeurs) sa tête est vraiment épouvantable,
blême et hideuse d’expression, ses mains sont monstrueuses, malades, tuméfiées, violacées, rouges –
une est dans un bocal, celle-là est présumée la “patte du homard”, monstruosité rare mais existante
(vue dans les Barnums) l’autre est tenue par une femme aussi sophistiquée, élégante, ornée, belle
et prétentieuse que celle de la Leçon de paléontologie. En somme : lointaine parente des dames de
l’école de Fontainebleau ou celles qui habitent les tableaux des maniéristes italiens (Primaticcio,
Rosso, Becca Furni) ».
(25.10.79)
Les faux Leonor Fini :
« Furieuse je suis aussi car je découvre qu’un porc fait de faux tableaux
de moi ignobles, dégoûtants en gouaches (ce que je n’ai jamais fait) il signe mon nom et cela circule
et un crétin l’a publié comme étant de sa collection dans une revue ! (il a été roulé croyant faire une
affaire. Mon avocat a commencé à agir aujourd’ hui. C’est si hideux, un vrai outrage. »
(11.12.79)
Eloge de Flanery O’Connor et éreintement de Julien Green :
« Dans Flanery O’Connor, sa
violence, style immédiat et inexorable, m’exalte. Je revis tout malgré que tout ce que les personnages
sentent je ne le sentirai jamais. Mais tout a une férocité et incisivité du feu et de la flamme, de
l’amer, et le livre est admirable. Green se “autochatouille”. Il est un curaillon (comme Jouhandeau
du reste dans une autre tendance) protestant “bien élevé” et j’ai envie de lui dire : MERDE. »
(13.9.72)
Force et faiblesse de l’artiste :
« Je suis toujours très émotive mais “normalement”, ayant plus
“ d’un tour dans mon sac”, je sais me masquer, me raidir, me défendre avec un grande force – qui
étonne mes amis qui me connaissent bien. Ces jours-ci je ne sais pas encore me défendre. Je pleure
pour ce qu’on appelle de « rien » et je ne peux pas freiner cette hypervie qui est en moi. »
(8.3.72)