Background Image
Previous Page  60 / 476 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 60 / 476 Next Page
Page Background

Dans son

Introduction à la poésie française

publiée en 1939, Thierry Maulnier écrit que son œuvre

“tout entière vouée à l’amour charnel (…) renferme quelques-unes des plus brûlantes cadences du

paganisme littéraire français et de la poésie amoureuse universelle. (…) Jamais dans la littérature,

l’impudeur même des sens n’a atteint à une telle gravité. Ses paroles sont irremplaçables, elles n’ont

plus été prononcées après elle, fût-ce par les plus violentes et les plus tendres des filles de Racine.

Jamais l’âme et le corps n’ont paru aussi peu séparés, la lucidité la plus claire aussi présente dans les

exigences de l’amour et dans ses gratitudes. (…) [Une] fusion nuptiale de la connaissance et de la

sensualité.”

Poète de l’amour, Louise Labé n’en invitait pas moins les femmes à se consacrer aux œuvres de

l’esprit. En préface, elle s’adresse à une jeune Lyonnaise, Clémence de Bourges, qui, si l’on en croit

la légende, se laissa mourir d’amour. Dans cette épître liminaire, Louise revendique l’indépendance

pour les femmes :

“Estant le tems venu

(…)

que les severes loix des hommes n’empeschent plus les femmes de s’apliquer

aus sciences & disciplines”

, aussi enjoint-elle ses semblables à s’attacher à produire des œuvres qui les

mettraient sur un pied d’égalité avec les hommes. Elle leur conseille notamment

“d’eslever un peu leurs

esprits par dessus leurs quenoilles & fuseaux”

.

Quant à elle, s’étant surtout consacrée à la musique, elle jugeait de peu de poids ses propres œuvres,

et ne les fit imprimer que pour répondre aux demandes de quelques amis et comme réminiscence

d’anciens jours heureux ou malheureux :

“Une ombre du passé qui nous abuse & trompe.”

Une “créature de papier” ?

L’existence de la Belle Cordière a été récemment mise en doute par Mireille Huchon, pour qui les

Euvres

de 1555 “sont une opération collective élaborée dans l’atelier de Jean de Tournes, par des

auteurs pour la plupart très liés aux réalisations de cet imprimeur”. La biographe croit discerner dans

ce livre “les créations de Lyonnais, comme Maurice Scève et les poètes qui gravitent autour de cet

astre, Pontus de Tyard, Claude de Taillemont, Philibert Bugnyon, Guillaume de La Tayssonnière et

les créations de poètes liés à la Brigade comme Olivier de Magny ou Jean-Antoine de Baïf”.

Le plus bel exemplaire connu : en vélin souple du temps, à grandes marges

et miraculeusement conservé.

Non lavé, quasiment dépourvu de rousseurs et de taches, à grandes marges, l’exemplaire est

quasi intact. Tout juste peut-on signaler d’infimes manques de papier dans les coins supérieurs

des derniers feuillets.

La reliure, très pure, a été réalisée avant la canonisation littéraire de Louise Labé. Elle présente

une particularité qui révèle sa nature quasi artisanale : la main du praticien a mal dirigé le massicot sur

les marges extérieures, ce qui confère au volume un singulier aspect trapézoïdal.

Petite morsure en bordure du plat inférieur.

Quelques phrases ont été anciennement soulignées ou annotées à l’encre noire. En marge d’un

passage où Louise Labé a écrit :

“S’il y ha quelque chose de recommandable apres la gloire & l’honneur,

le plaisir que l’estude des lettres ha acoutumé donner nous y doit chacune inciter”

, un lecteur contemporain a

inscrit :

“le plesir des lettres.”

Quelle meilleure réponse aux spéculations sur la personne réelle ou rêvée

de Louise Labé ? Que sont-elles face au

“plesir des lettres”

?

Provenance : signature ancienne en haut du titre rayée et ex-libris manuscrit du XVIII

e

siècle sous

le titre :

Ex lib. Rejnaud cat. ins.

L’exemplaire a figuré dans un catalogue de la librairie Pierre Berès

(catalogue 85,

350 livres et manuscrits des Valois à Henri IV

, 1994, n° 173) : le libraire l’avait acquis dans

une vente anonyme lyonnaise en 1985.

Le volume est conservé dans une boîte moderne de maroquin tabac.