l’harmonie entre la culture respirée en famille et celle que l’école transmettait, avec Hugo
au sommet, suivi de Zola, beaucoup plus présents, curieusement, que Voltaire et Rousseau,
malgré la réputation qui leur est faite d’avoir annoncé la Révolution et la république.
Zola est splendidement présent parmi les livres de Pierre Bergé, même si celui-ci lui préfère
manifestement Stendhal et surtout Flaubert, avec
La Vérité en marche
dédicacé à sa femme et
Le Docteur Pascal
donné à la mère de ses enfants. Si
Candide
et l’
Émile
figurent en bonne place
parmi les livres de Pierre Bergé, comme chez tout bon élève de l’école obligatoire, laïque
et gratuite, c’est bien au XIX
e
siècle, celui des
Misérables
et de
J’accuse
, que s’identifie son tuf
littéraire.
Non sans réserver quelques surprises, comme son attrait pour la Renaissance, non
seulement Rabelais, avec un superbe
Tiers Livre
de 1546, et Montaigne, dont il possède les
premières éditions des
Essais
de 1580, 1588 et 1595, ainsi que le
Journal de voyage en Italie
,
mais encore pour Labé, dont l’édition originale des
Œuvres
de 1555 est l’un de ses trésors,
ou encore Marot, Ronsard, Scève. Cet accent de la collection sur le XVI
e
siècle est l’une
de ses originalités et fait regretter à Pierre Bergé que, suivant les travaux les plus récents,
Louise Labé pût n’être que le prête-nom de plusieurs poètes lyonnais.
Jacques et Mona Ozouf signalaient que les bibliothèques des instituteurs de la génération
de leurs parents étaient avant tout françaises, témoignant d’une culture très hexagonale et
plutôt utilitaire. Sur ce plan-là aussi, les goûts de Pierre Bergé le singularisent, puisque
la littérature classique et étrangère a toujours beaucoup compté à la fois dans ses lectures
et dans ses achats. Homère, Augustin et Dante figurent à son catalogue ; Dickens est le
premier romancier, confie-t-il, dont la découverte l’ait marqué dans son enfance avec
David
Copperfield
(il possède l’exemplaire personnel de l’auteur), et les romanciers russes sont bien
représentés parmi ses livres, avec Dostoïevski et surtout Tolstoï, dont il relit souvent
Guerre
et paix
, ainsi que, pour le romantisme allemand tôt apprécié, Goethe, Schiller et Hölderlin.
Mais ne nous trompons pas sur le tempérament profond de Pierre Bergé. J’ignore s’il lui
reste quelques-uns des premiers livres dont il fit l’acquisition pendant ses premières années
à Paris, mais, si c’est le cas, il me paraît sûr que ces œuvres appartiennent à la littérature
française du XIX
e
siècle, noyau, cœur vivant de sa bibliothèque. Après Hugo et Musset,
la poésie et le théâtre, dont le culte lui fut inculqué par la famille et par l’école, ce furent
Stendhal, Baudelaire et Flaubert qui prirent le relais et pour lesquels sa prédilection ne s’est
jamais démentie.
Les trésors qu’il a réunis autour de ces écrivains donnent une image époustouflante de ce
que fut durant très longtemps la vie littéraire en France, ce commerce des écrivains qui