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Voyager, rêver, “essayer”.

Complément du maître-livre de Montaigne, le

Voyage

est même, selon le mot de Paul Faure,

“un essai plus vrai que les

Essais

”. Jean-Marc Chatelain a longuement analysé l’usage que le “touriste”

Montaigne fait de la toponymie et de sa puissance d’évocation. Il s’agit moins de “produire une raison

étymologique que de faire affluer, par le seul fait de nommer le lieu, une mémoire de l’Antiquité

qui prend la forme d’un sentiment poétique plutôt que d’un principe de connaissance. Comme

tout lettré de la Renaissance faisant le voyage d’Italie, Montaigne accorde beaucoup d’attention

aux vestiges antiques dans les régions qu’il visite ; mais on a aussi remarqué que cette attention est

comme négligente et qu’il ne s’attache pas à déchiffrer exactement les inscriptions qu’il relève et à

les fixer dans un savoir : sa mémoire de l’Antiquité n’est décidément pas celle des ‘antiquaires’, qui

enregistrent, vérifient, établissent. Elle est bien plus de l’ordre d’une rêverie, d’un vagabondage

de l’esprit le long duquel les vivants peuvent lier avec les morts une impossible et fantastique

‘accointance’. Sur les lieux qu’ont fréquentés les Anciens, Montaigne ne traque pas une connaissance,

il se dispose à l’émotion que procure l’imagination du passé... Il resterait à savoir s’il n’est pas loisible

de deviner dans cet art discrètement mélancolique de voyager la forme plus générale d’un rapport

à la culture qui nourrit jusqu’à l’écriture même des

Essais

, dans l’usage qui y est fait des citations”.

Ravissant exemplaire relié pour Madame du Deffand, avec son fameux chat doré

et répété sur les dos des reliures.

Marie de Vichy-Chamrond, marquise Du Deffand (1697-1780), incarne l’esprit brillant

des Lumières. Elle entretint une riche correspondance avec tous les beaux esprits du temps qui

se pressaient dans son salon “tapissé de moire bouton d’or” : d’Alembert, Montesquieu, Voltaire,

Fontenelle, Marivaux, Horace Walpole et le président Hénault, son amant. “Personne n’exerça une

influence plus directe sur la société de son époque (…). Ses

Lettres

ont suffi pour la classer parmi

les plus purs écrivains de la langue, et ont été plus d’une fois réimprimées” (Quentin Bauchart).

Frappée de cécité en 1767, elle fit venir auprès d’elle sa nièce, Julie de Lespinasse, comme lectrice :

nul doute que cette dernière lui lut, parmi d’autres livres, ce

Journal du

voyage de Michel de Montaigne

en Italie...

Car Mme Du Deffand était une lectrice enthousiaste des

Essais

et vantait son auteur : “Je ne trouve

aucun esprit aussi éclairé et aussi parfaitement juste que celui de Montaigne”, écrivit-elle à Horace

Walpole, qui avouait ne pas partager son goût. Mais elle insista et, dans une autre lettre, lui assura :

“Je suis sûre que vous vous accoutumerez à Montaigne ; on y trouve tout ce qu’on n’a jamais pensé

et nul style n’est aussi énergique ; il n’enseigne rien parce qu’il ne décide de rien ; c’est l’opposé du

dogmatisme : il est vain – eh ! tous les hommes ne le sont-ils pas ? et ceux qui paraissent modestes

ne sont-ils pas doublement vains ?... Allez, allez, c’est le seul bon philosophe et le seul bon

métaphysicien qu’il y ait jamais eu.”

En 1774, quand parut le

Journal

, elle en offrit un exemplaire à Walpole, exemplaire qu’elle confia

à son amie Lady Mary Coke qui retournait en Angleterre. Si l’on en juge par les lettres de Walpole,

ce fut peine perdue…

L’exemplaire appartint ensuite à un certain

Bouchotte, de Bar-sur-Seine

, dont il porte le grand

ex-libris typographique. Il s’agit de Pierre-Paul-Alexandre Bouchotte (1754-1821), procureur du roi

au bailliage de Bar, élu député du Tiers aux états généraux, puis juge suppléant au tribunal

de Bar-sur-Seine de 1816 à sa mort.