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HISTOIRE POSTALE

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ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY

(1900-1944)

Lettre à Lewis Galantière : brouillon

autographe, abondamment raturé et

corrigé. [Vers 1940].

5 p. un quart sur 6 f. in-4 (28,2 x 21,7

cm) de papier américain « Esquire

Onion Skin », encre bistre et bleu

foncé, foliotation postérieure au

crayon violet (0462-0467).

8 000 / 10 000 €

Important brouillon d’une longue lettre

de Saint Exupéry à son traducteur Lewis

Galantière (1895-1977).

Les deux hommes s’étaient rencontrés

par l’intermédiaire des éditeurs Reynal

et Hitchcock, à New York, en 1938. Leur

collaboration privilégiée, mais parfois un

peu orageuse, eut une grande influence

sur le succès littéraire de Saint Exupéry

aux États-Unis. Elle donna aussi lieu à

une correspondance dense dans laquelle

l’écrivain s’exprime très ouvertement sur

ses idées politiques. Ainsi, cette lettre porte

sur l’opposition entre la gauche et la droite,

et leur responsabilité respective dans la

guerre.

« Cher Lewis, je suis bien enchanté par

notre conversation. Et je sais bien que ce

qui vous intéresse d’abord c’est ce qui

m’intéresse exclusivement aussi. […]

I. Vous vous ferez toujours critiqué en usant

des concepts “droite” et “gauche” pour

éclairer le monde. En fait il s’agira toujours

entre nous pour moi de défendre la droite

contre la gauche. C’est le hasard des

choses qui le veut ainsi. Car la construction

que vous bâtirez se trouve être la suivante

: “le monde construit par la gauche est le

monde que je souhaite en fin de compte.

J’affecte d’oublier à la gauche tous les

défauts - il ne peut en être autrement,

les gens de gauche sont des hommes. Il

reste que les gens de droite sont aussi des

hommes […].

C’est pourquoi je m’insurge quand vous

me reprochez de “dire que la gauche est

responsable de la défaite...” C’est “contre

vous” que je suis amené à le dire. […]

Mais, après avoir en vain essayé d’user

de ces mots, et n’en ayant jamais tiré que

l’amusement de belles constructions par la

logique (comme il est “amusant” d’essayer

de penser la physique avec les axiomes de

Newton) je ne veux pas en entendre parler.

Je me fous complètement des exposés

brillants auxquels j’aboutirai, car, selon les

problèmes traités, mes matériaux servent

tous à répondre, à charger d’un poids et

d’une signification différente, et ce travail

n’enseignera rien sur le monde. Je refuse

[

?

] et absolument d’essayer de penser le

monde avec un langage qui ne vaut plus

rien. Je pourrais être amené au cours de

nos discussions, à vous accorder raison,

successivement, sur tous les points - je dis

tous - que je nierai quand même que vous

avez raison. [...]

En fait, si vous pouvez en effet écrire une

histoire de la guerre où toutes les fautes

iraient à la droite sans qu’il ne soit possible

de reprocher à votre construction autre

chose que son “inefficacité” (vos définitions

souvent si complexes et si particulières

que je ne pourrai pas m’en servir ailleurs)

si ce travail d’ailleurs nous est tout aussi

facile à rebours (faisons un pari !) et donc

n’a aucune sorte d’intérêt, il reste que celui

que vous faites n’a pas atteint le degré

d’exactitude auquel il veut prétendre. Nous

pourrions construire votre théorie, si nous

y consacrions une existence d’histoire,

avec des matériaux dont aucun ne serait

critiquable. Je vous accorde bien plus que

vous ne me donnez. Quand je réagis contre

l’une de ces affirmations particulières ce

n’est point pour défendre la droite contre la

gauche car je sais - a priori - que vous la

pourriez remplacer par une affirmation qui

ne me ferait point réagir. […] »

PROVENANCE :

Vente anonyme à Paris, le 16 mai 2012, lot

378

Papier un peu froissé ; pliures et

déchirures marginales ; quelques taches et

traces de rouille