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les collections aristophil
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ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY (1900-1944)
Préface au
Vent se lève
: manuscrit autographe,
abondamment raturé et corrigé. [Été 1939].
5 p. sur 5 f. in-4 (27,1 x 20,8 cm) de papier « Japon L. J. &
C
ie
» montés sur onglets, encre gris foncé et noire, reliure
de maroquin beige foncé, plat et dos (lisse) ornés d’un
décor de nuages à l’œser brun et rayons solaires dorés
(
reliure moderne
).
15 000 / 20 000 €
PRÉCIEUX BROUILLON AUTOGRAPHE DE LA PRÉFACE QUE
SAINT EXUPÉRY RÉDIGEA POUR L’ÉDITION FRANÇAISE DU
VENT SE LÈVE
D’ANNE MORROW-LINDBERGH.
L’épouse de Charles Lindbergh, elle-même aviatrice, avait participé
avec celui-ci à une série de raids dont elle tira un récit haletant,
Listen !
The Wind,
qui fut publié avec un avant-propos de Lindbergh en 1938.
L’année suivante, Saint Exupéry accepta de préfacer la traduction
française de ce livre donnée par Henri Delgove sous le titre
Le Vent se
lève
, alors qu’il ne connaissait ni l’œuvre ni la jeune femme.
Saint Exupéry, qui a saisi immédiatement le sens profond du livre
qu’il préface, au point d’en révéler à son auteur même l’universalité,
profite de son propre texte pour exprimer sa conception d’une œuvre
littéraire, s’interrogeant sur le rapport entre le réel et l’écriture du réel,
faisant de l’écrivain un passeur entre les mots et les choses...
« Je me suis souvenu, à l’occasion de ce livre, des réflexions d’un ami :
“Je viens de lire, m’avait-il dit, l’admirable reportage d’un journaliste
américain. Ce journaliste a eu le bon goût de noter, sans les commenter
ni les romancer, des anecdotes de guerre recueillies de la bouche
de commandants de sous-marins. Souvent même il se retranchait
derrière la nudité des textes et se bornait à reproduire les notes sèches
des journaux de bord. Combien il a eu raison de se retrancher derrière
cette matière et de laisser dormir l’écrivain car de ces témoignages
secs, de ces documents bruts, se dégage une poésie et un pathétique
extraordinaire... Pourquoi les hommes sont-ils si sots qu’ils désirent
toujours embellir la réalité, quand elle est si belle par elle-même ? Si
un jour ces marins eux-mêmes écrivent, peut-être peineront-ils sur de
mauvais romans ou de mauvais poèmes, négligeant les simples trésors
ils avaient en leur possession…” […]
Le grand problème réside évidemment dans les rapports du réel et
de l’écriture, ou mieux, du réel et de la pensée. Que transporte-t-on
quand on s’exprime ? Quel est l’essentiel ? Cet essentiel me semble
aussi distinct des matériaux utilisés, qu’une nef de cathédrale est
distincte du tas de pierres dont elle est sortie. […]
Le vrai livre est comme un filet dont les mots composent les mailles.
Peu importe la nature des mailles du filet. Ce qui importe, c’est la proie
vivante que le pêcheur a remontée du fond des mers, ces éclairs de
vif-argent que l’on voit luire entre les mailles. Qu’a-t-elle ramené, Anne
Lindbergh, de son univers intérieur ? Quel goût a-t-il, ce livre ? […] »
Cette magnifique préface de Saint Exupéry fut insérée dans le recueil
posthume
Un sens à la vie
(1956).
Ont été reliés ou montés à la suite du manuscrit : une dactylographie
moderne du texte définitif de la préface (5 p. un tiers sur 6 f. in-4) ;
un télégramme dactylographié de Saint Exupéry à Henri Delgove
(« Enthousiasmé par lecture placards Lindberg [
sic
]. Désireux donner
importance au lieu de courte préface, si remise texte quinze juillet
retour avion New York vous retarde pas trop », Saint-Pierre-des-Corps,
10 juillet 1939, 1 p. in-12 oblong) ; un article de Delgove intitulé « Saint-
Ex intime : l’histoire d’une préface » extrait de La Vie mancelle, n° 120,
décembre 1971 (3 p. in-4). Élégante reliure à décor céleste.
Quelques taches et traces de rouille sur les feuillets manuscrits
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ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY (1900-1944)
« La Vérité » : manuscrit autographe, raturé et corrigé. [Vers
1939-1940].
5 p. sur 6 f. in-4 (26,9 x 20,9 cm) de papier vélin, encre
noire, foliotation autographe (1-6), foliotation postérieure au
crayon violet (0415-0420).
6 000 / 8 000 €
Manuscrit d’un texte de Saint Exupéry sur la vérité (titré ainsi au
cours du développement) dans lequel celui-ci réfléchit notamment
sur les liens ambigus qui existent entre la simplification de la pensée
et l’expression de la vérité, face aux événements historiques et dans
l’écriture de l’Histoire.
« Le drame chez Hitler n’est point que je sache dire pourquoi
les Allemands veulent se réunir, pourquoi l’homme abâtardi
doit être fort, mais pourquoi - si je suis deux fois plus gros que
mon voisin - je n’ai point le droit de l’écraser - pourquoi (j’ai des
exemples). Or il est évident que nous avons vécu dans le malaise
et que le national socialisme a cherché à purger ce malaise - et
l’a purgé, mais où vais-je loger un autre besoin dont j’ai besoin ?
En fin de compte l’arbitraire de l’État. C’est l’arbitraire de l’État qui
m’empêche d’assassiner. Le génie de Hitler est de mobiliser. Et moi
je préfère Louis XIV. Aucun rapport dans l’arbitraire. Il servait, lui,
plus ou moins mal, avec plus ou moins de contradictions, une foi
morale, un langage, une religion qui nous offrait quelque crédit. Je
me souviens de cette poésie de mon enfance : vous voulez mon
moulin, cher Frédéric II ? Vous ne l’aurez pas : il y a des juges à
Berlin ! - Il ne sauverait plus son moulin, il n’y a plus de juges à
Berlin. Ainsi est ébranlé le royaume qui protégeait l’individu en lui
permettant d’être. Il n’en est plus tiré que la commune mesure. Il est
ramené à la fourmilière. […] »
Dans une partie plus narrative de son texte, Saint Exupéry évoque
la sagesse d’un « caïd rendant la justice » dans une vieille ferme
au Maroc, qui n’est pas sans rappeler le titre primitif de
Citadelle
,
« Le Caïd ou Seigneur berbère » ; plusieurs passages de ce beau
texte sont repris dans
La Morale de la pente
, rédigé fin 1939-
début 1940.
PROVENANCE :
Vente anonyme à Paris, le 16 mai 2012, lot 375
Légère mouillure à l’angle supérieur gauche ; manque au même
angle à l’emplacement d’un trombone atteignant 3 mots ; quelques
déchirures et pliures marginales