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les collections aristophil

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ANTOINE DE SAINT EXUPÉRY

(1900-1944)

La genèse de

Citadelle

 : manuscrit

autographe, raturé et corrigé. [Vers

1940].

3 p. sur 3 f. in-4 (27 x 21 cm) de papier

vélin, encre bleu nuit, foliotation

partielle de l’auteur (1-2), foliotation

postérieure au crayon violet (0459-

0461).

4 000 / 6 000 €

PRÉCIEUX BROUILLON DU DÉBUT DE

CITADELLE

, contenant l’essence de la ver-

sion définitive. Ébauché en 1936,

Citadelle

fut essentiellement rédigé entre 1941 et

1943, « de façon ardente mais syncopée »

(M. Quesnel). C’est une longue poésie mys-

tique écrite par un aviateur, contemplant le

monde d’en-haut…

« Moi j’éteins ce qui crie vers l’abîme. Je

reçois les fissures du sol. Je calfate le navire.

Je refoule dans ma gorge le cri de l’ange.

Mon père, qui était grand ne le redoutait

point, mon père était du sang des aigles. Car

il est un temps pour fonder et pour recevoir

les semences du ciel. Mais il est un temps

pour habiter et surveiller la croissance des

moissons. Il est un temps pour la foudre qui

rompt les

[?]

dans le ciel mais il est un temps

pour les citernes où les eaux rompues vont

dormir. Car il est un temps pour écouter la

voix de l’ange et refaire le sens de la vie, un

temps pour la stabiliser, un temps pour ouvrir

la chair au couteau, un temps pour guérir les

blessures. Il est un temps pour le goût [

de

]

l’éternité et pour [

les

] besoins de la récolte.

Moi je redoute dans la citadelle. J’étrangle

celui-là qui prend feu dans la nuit et pour-

tant veut ses prophéties comme l’arbre en

feu quand il éclate et embrasse avec lui la

forêt. Je hais ce qui change. Je m’épouvante

quand l’immuable revient sur ses bases.

[…] Je m’épouvante quand les demeures

des hommes solidement bâties sur le dos

rassurant des collines, quand dans la terre

essentielle, commencent de trembler comme

des vitres et quand, des entrailles du globe,

monte ce craquement, ce bruit des chaînes

remuées […]. Je me suis embarqué une fois

sur la terre sacrée avec [?] mon peuple.

Ils reposaient dans les flancs du navire. […]

Accroupis entre des armées allaitant les

enfants, ou pris dans l’engrenage du chapelet

de la prière. Ils s’étaient faits habitants du

navire. Ce navire s’était fait demeure.

Quand l’océan se souleva et lava les ponts

comme une lessive, […] j’interdis que l’on

écoutât à travers les calfats épais, le chant

de la mer. Celui-là je le découvris les yeux

grands ouverts, qui entendait de faibles cra-

quements dans les maîtres couples du navire.

Si légers mais si terribles car inspiré par

l’ange. À travers cette flûte légère il entendait

la hache descendre de la mer. »

Un visage est esquissé au verso du deu-

xième feuillet, accompagné d’une annota-

tion : « Surcouf / Cap Matifou / Le corsaire ».

PROVENANCE :

Vente anonyme à Paris, le 16 mai 2012, lot 395

Quelques légères traces de rouille et taches