145
ACADÉMIE FRANÇAISE
fondamentaux de la Mécanique. Peut-être s’est-on trop hâté de
considérer ces nouveautés comme définitivement établies et de briser
nos idoles d’hier ; peut-être conviendrait-il, avant de prendre parti,
d’attendre des expériences plus nombreuses et plus probantes »...
Et Poincaré conclut ainsi son travail : « Je me suis efforcé de donner
en peu de mots une idée aussi complète que possible de ces nou-
velles doctrines ; j’ai cherché à expliquer comment elles avaient pris
naissance, sans quoi le lecteur aurait eu lieu d’être effrayé par leur
hardiesse. Les théories nouvelles ne sont pas encore démontrées, il
s’en faut de beaucoup ; elles s’appuient seulement sur un ensemble
assez sérieux de probabilités pour qu’on n’ait pas le droit de les
traiter par le mépris. De nouvelles expériences nous apprendront,
sans doute, ce qu’on en doit définitivement penser. Le nœud de la
question est dans l’expérience de Kaufmann et celles qu’on pourra
tenter pour la vérifier.
Qu’on me permette un vœu, pour terminer. Supposons que, d’ici
quelques années, ces théories subissent de nouvelles épreuves et
qu’elles en triomphent ; notre enseignement secondaire courra alors
un grand danger : quelques professeurs voudront, sans doute, faire
une place aux nouvelles théories. Les nouveautés sont si attrayantes,
et il est si dur de ne pas sembler assez avancé ! Au moins, on voudra
ouvrir aux enfants des aperçus et, avant de leur enseigner la Méca-
nique ordinaire, on les avertira qu’elle a fait son temps et qu’elle était
bonne tout au plus pour cette vieille ganache de Laplace. Et alors, ils
ne prendront pas l’habitude de la Mécanique ordinaire. […] C’est avec
la Mécanique ordinaire qu’ils doivent vivre ; c’est la seule qu’ils auront
jamais à appliquer ; quels que soient les progrès de l’automobilisme,
nos voitures n’atteindront jamais les vitesses où elle n’est plus vraie.
L’autre n’est qu’un luxe, et l’on ne doit penser au luxe que quand il
ne risque plus de nuire au nécessaire ».